« L'Histoire d'un voyage en la terre du Brésil est le récit d'un témoin dédoublé, témoin intransigeant de la Parole d'une part, et en même temps, et contradictoirement témoin amoureux d'un monde auquel il n'était pas préparé et au milieu duquel, l'espace d'à peine un an, il s'est trouvé de plain-pied heureux, comblé. La réussite du livre tient à la tension jamais résolue entre ces deux points de vue. » (Franck Lestringant, Jean de Léry ou l'invention du sauvage, 1999)
Qui eût dit à Jean de Léry ; calviniste genevois, que son départ à l'hiver 1557 pour le nouveau monde serait suivi, moins d'un an plus tard, d'un retour puis de la publication d'une Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, l'eût beaucoup étonné. En effet, lorsqu'il quitte avec ses compagnons le port de Honfleur, Jean de Léry croit ne jamais devoir revenir sur le vieux continent ; il est un émigrant sur le point de participer à la fondation d'une colonie protestante sur une terre – presque – vierge.
Pourtant le titre de l'ouvrage publié près de vingt ans après son retour tient plus u récit de voyage que du récit religieux. En ce sens Franck Lestringant peut parler de l'auteur de l'Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil comme d'un « témoin dédoublé ». Ainsi Jean de Léry apparaît-il comme un « témoin intransigeant de la Parole » ; en futur pasteur calviniste ils est aux aguets des formes de dépravation et d'irréligion de ce nouveau monde, souvent prosélyte car désireux de délivrer le message de la « vraie religion ». En un mot il demeure éminemment marqué par le sceau de sa culture chrétienne européenne. Son regard est alors critique.
Il est aussi « témoin amoureux d'un monde auquel il n'était pas préparé et au milieu duquel […] il s'est trouvé de plain-pied heureux, comblé ». En effet, son voyage se fait vite aventure et son cheminement parmi les Tououpinambaoults, parcours initiatique au sein d'un monde s'avérant contenir toujours plus de sujets d'émerveillement. Son propos est alors descriptif et orienté.
C'est, selon F. Lestringant, le caractère « contradictoire » de ces deux témoignages, la « tension jamais résolue entre ces deux points de vue » qui fait tout la « réussite du livre ».
Il s'agira de montrer ici que l'affirmation du critique ne s'applique que dans une mesure restreinte à l'ouvrage de Jean de Léry en ceci que si la tension évoquée entre les deux points de vue est réelle, elle trouve son dénouement dans la volonté de l'auteur de réconcilier l'humanité par le biais d'un véritable procès des modèles européens.
En ce sens nous montrerons que le regard de Jean de Léry est d'abord condamnatoire, « intransigeant », du fait de modèles de pensée européens très traditionnels qu'il va finir par mettre en doute, au profit de Tououpinambaoults. Puis nous verrons que son voyage se fait rite d'initiation par l'émerveillement qu'il suscite ; à l'origine d'un regard « amoureux » portant sur le Brésil et dominant dans l'ouvrage. Enfin nous expliquerons comment l'auteur se sort de cet entre-deux culturel dans lequel il est enfermé en menant une réflexion visant à rassembler l'humanité et à lui donner comme modèle l'éden brésilien.
[...] Ainsi en est-il lorsqu'il évoque son bonheur à se ressouvenir des conomi-miri autrement dit des enfants sauvages fessus et grassets auquel l'européen ne pouvait s'empêcher de faire moult cadeaux en l'espèce d'hameçons et autres breloques. L'utilisation de la langue sauvage est toujours l'occasion d'une réjouissance intense de l'auteur, elle participe de sa joie. D'autre part les illustrations fournies par Léry sont un moyen pour lui de faire de sa description une véritable hypotypose ; ainsi outre la description susdite j'ay bien voulu vous représenter la figure du danseur et sonneur de maracas (chap. 16). Plus loin c'est par le rire que Léry va se défaire en partie de sa morale européenne traditionnelle. [...]
[...] Par exemple l'anthropophagie des sauvages est comparée à l'usure en Europe et est mise sur le même plan de culpabilité morale. Et lorsqu'il juge que sa comparaison n'est pas assez efficiente Léry ajoute un chapitre annexe au sein duquel il précise sa pensée. C'est le cas du chapitre 15bis décrivant d'autres peuples [ ] beaucoup plus barbares que les sauvages eux-mêmes La coexistence dans cet intitulé de chapitre des mots sauvages et barbares laissant peu de prise au doute quant à la pensée de l'auteur. [...]
[...] Celui-ci s'étant avéré être un mauvais protestant les envoyés genevois s'opposèrent à lui de manière parfois violente. Cette opposition les conduisit à quitter l'île du Fort Coligny pour vivre parmi les Tououpinambaoults. Dès lors Jean de Léry s'exerce à une satire récurrente du traître Villegagnon et veut rétablir la vérité sur l'échec de la France Antarctique En ce sens l'auteur développe longuement les illustrations de la trahison de ce dernier, il moque en particulier son allure en évoquant toute l'attention qu'il mettait au choix de la couleur de ses tenues en fonction du jour de la semaine et de son humeur ; la magnificence de ses habits allant en contradiction avec l'austérité du rite protestant. [...]
[...] Ceci particulièrement à travers la figure d'un vieillard sauvage qui fait la leçon à Léry sur la cupidité des Européens. Le voyage comme l'écriture ont donc été pour Jean de Léry source de plaisir, il a été témoin amoureux de ce nouveau monde. Pour autant la tension avec le témoin intransigeant qu'il fut de prime abord trouve bien une résolution, à travers le travail qu'effectue Léry en vue de réunir l'humanité. Le regard amoureux prend le pas sur l'autre et nécessite une reconsidération des modèles européens ; notamment en matière de religion. [...]
[...] A commencer par la truculente scène du baptême de Léry en langue des sauvages. Caractéristique d'une ouverture vers l'autre celui-ci assigne à Jean de Léry le nom de Léry-oussou ; soit grosse huître en français ; et ne manque pas de provoquer un éclat de rire général qui constitue la première des communions entre le calviniste suisse et les sauvages de la baie de Guanabara. Du contact avec les sauvages et de l'observation de leurs mœurs l'auteur tire un plaisir non dissimulé, il dit à ce propos : Je n'eus jamais tant de contentement en mon esprit que j'en eus lors à voir combattre ces sauvages (chap. [...]
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