Le roman de Ford Madox Ford, The Good Soldier (Norton Critical Edition, edited by Martin Stannard), s'affirme d'entrée comme un roman tout en contrastes ; les oppositions et l'instabilité narrative constituent la moelle épinière de cette œuvre labyrinthique. La lecture pourrait être interprétée comme un huis clos oppressant entre narrateur et lecteur. En effet, dès la première ligne, dans la restitution d'événements passés et autobiographiques faite par le personnage principal, Dowell, la narration se pose comme le seul point d'ancrage pour le lecteur, ou devrions-nous dire le spectateur, en ce qui concerne la véracité du récit. Toutefois, tout au long de la narration, les innombrables invraisemblances, ainsi que les nombreuses oppositions vont amener le lecteur à remettre en question cette même véracité. Ce narrateur, qui semblait en pleine possession de son discours et qui assumait la pleine responsabilité de son récit, éveille peu à peu le soupçon chez le lecteur. Nous verrons comment le soupçon, qui n'aurait pas lieu d'être étant donné la participation du narrateur aux événements qu'il rapporte, se trouve être en réalité une stratégie délibérée de ce dernier afin d'assurer sa survie.
Dowell, narrateur, étant, à l'exception de Leonora, le seul témoin encore en vie des scènes passées, se trouve être omnipotent par son choix d'en faire le récit pour ce qui est de la restitution. Nous nous attacherons à montrer comment le récit de Dowell, qui semble de prime abord parfaitement maîtrisé, se fissure peu à peu pour laisser transparaître les véritables intentions du narrateur. Ce récit se transforme alors en une vaste scène de théâtre où Dowell a les pleins pouvoirs pour réécrire l'histoire, réadapter les événements selon son bon plaisir. Nous verrons alors comment, par cette réécriture, le narrateur se crée une nouvelle réalité et développe une nouvelle identité dans un but d'affirmation de lui-même. Cette « schizophrénie curative » sera ensuite étudiée comme une tactique intentionnelle du narrateur pour assurer sa pérennité.
[...] ce qui présuppose que le narrateur doit en même temps faire l'effort d'écrire et de se souvenir, ce qui engendre une discontinuité de la narration, par exemple lorsque Dowell , narrateur, qui plus tard requerra chez son auditeur le qualificatif d'être silencieux dit à celui-ci : you may well ask why I write alors qu'un paragraphe plus loin c'est lui-même qui pose les questions sans même y apporter de réponse where better could one take refuge ? Where better ? provoquant la confusion des questions et des réponses chez le narrateur qui se manifeste dans l'incohérence de la ponctuation : Permanence ? Stability ! Là où le lecteur s'attend à un point d'interrogation, le narrateur assène un point d'exclamation, comme pour affermir une réponse qui n'en est aucunement une. La mise en scène par Dowell des événements se désintègre au fur et à mesure que le récit progresse. [...]
[...] En particulier, pages 151-152, lorsqu' Edward apparaît déchiré entre deux femmes, Leonora et Nancy, deux femmes que Dowell désire également. Cette schizophrénie de Dowell semble avoir alors une visée curative pour le narrateur. Sa mise scène ainsi que sa prétendue maîtrise du récit, donc des événements, lui permettent de se libérer de l'image du mari trompé et crédule qu'il traîne mais parallèlement et paradoxalement, il la conserve par le biais d'Edward Ashburham, qu'il fait renaître, pour se poser comme centre de toutes les attentions. [...]
[...] (151) et son appel au lecteur spectateur de conclure à sa place : Perhaps you can make head or tail of it ; it is beyond me. (151) Par cet appel, Dowell, narrateur, se décharge d'un récit qui le dépasse, déléguant au lecteur- spectateur le soin de conclure. En lui léguant son récit, Dowell, lui lègue également ses doutes, ses souvenirs tronqués, ses omissions, ses incertitudes qui le pousseront à s'interroger, à douter de la véracité du récit du narrateur qui voit dans ce soupçon continu s'établir la pérennité de son œuvre It is beyond me. (151)). [...]
[...] Sa réalité est définie par les présents de narration que Dowell, narrateur, emploie pour encadrer son récit au commencement et à la fin de celui-ci : This is the saddest story I have ever heard. et It suddenly occurs to me that I have forgotten to say how Edward met his death. (161) Comme nous l'avons expliqué plus haut, le superlative “saddest” confère au terme un caractère subjectif très fort; la deuxième phrase, suddenly occurs to me suggère un souvenir, brusquement revenu à la mémoire du narrateur. [...]
[...] En effet, étant étranger aux repères du narrateur, le lecteur - spectateur se trouve tout d'abord dans l'obligation de suivre, tel Ariane, les fils que lui tend celui-ci pour se guider dans les méandres de sa pensée. La fêlure, dans le récit que Dowell voulait si bien huilé, apparaît dès la première ligne du texte : This is the saddest story I have ever heard. Frappé par le superlatif, le lecteur ne porte, à la première lecture, que peu d'attention au dernier mot, heard. [...]
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