On peut sans doute dire que Crews appartient, sinon à un mouvement littéraire, du moins à la mouvance de ce que l'on peut appeler le naturalisme « hard core », c'est-à-dire une tendance littéraire regroupant des écrivains comme Nathanael West, Erskine Caldwell, John O'Hara, James Purdy, Hubert Selby, Jr., Jerzy Kosinski, ou encore Barbara Sheen. Ces auteurs, principalement originaires du Sud des Etats-Unis, décrivent dans leurs romans l'Amérique profonde et reconnaissent la violence anarchique comme un des traits caractéristiques de cette société
[...] On peut dire que La foire aux serpents répond dans une certaine mesure à la règle de l'unité de lieu Mystic- et de temps- le temps de la foire. Il n'y a pas réellement d'unité d'action, mais toute la tension tragique tend à se concentrer peu à peu sur le personnage de Joe Lon, jusqu'à l'acmé finale qu'est la tuerie. Le geste de Joe Lon fonctionne alors, pour le lecteur, comme une sorte de catharsis. [...]
[...] Pour la forcer à coucher avec lui, il la menace avec un serpent. Celle-ci est tellement effrayée que la folie la gagne peu à peu. Bientôt, elle voit et entend des serpents à tout instant, et elle finit par tuer le shérif en lui tranchant le pénis, pensant qu'il s'agit d'un dangereux cobra. Joe Lon ensuite. A l'occasion de cette foire, il prend peu à peu conscience de la vacuité et de la médiocrité de son existence de vendeur d'alcool dans ce Sud bouseux et arriéré. [...]
[...] Il est bâti sur une logique de l'inversion. Ici, tous les héros et hérauts de la société américaine triomphante des années 1960 et 1970, telle que représentée au cinéma ou à la télévision, deviennent des anti-héros : le joueur de football américain est une brute alcoolique et imbécile, le shérif un obsédé sexuel puni par là où il a pêché, puisqu'il meurt le pénis tranché, la majorette une nymphomane ambitieuse et sulfureuse, l'étudiant membre du prestigieux club débat un blanc-bec prétentieux. [...]
[...] Dans la même optique, la provocation dont fait montre Crews dans le roman participe à une double logique d'inversion. Non seulement les faits et gestes des personnages ne sont pas ceux des stéréotypes sociaux qu'ils incarnent (le shérif, la majorette et le sportif sont alcooliques, se livrent à des orgies de sexe et de violence), mais encore les motifs mêmes de leur action ne correspondent à aucune convention: la violence semble être purement gratuite (du moins en apparence), comme lorsque Hard Candy, Willard, Joe Lon et Duffy chahutent Poncy ; le sexe n'est pas la conséquence d'un désir, mais d'une volonté de destruction et de domination, et pour avoir du plaisir, Duffy pense aux camps de concentration Oh mon dieu. [...]
[...] Dans cette optique, on peut dire que la violence, dans le roman de Harry Crews, a une double raison d'être. D'une part, elle apparaît comme un dérivé la société américaine elle même, en tant que l'image de rêve qu'elle prétend donner est en réalité créatrice de frustrations et d'exclusion. D'autre part, elle a également pour fonction de préserver et de protéger la communauté en marquant la frontière entre insider et outsider En ce sens, la violence n'est peut-être pas gratuite, mais a pour but de préserver la communauté même, et la violence que les personnages font montre à l'égard de Poncy peut s'expliquer ainsi : exclure Poncy de leur groupe par la violence, c'est tenter de définir l'existence même de leur groupe. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture