"Le poète que je cherche à être" est le titre d'un ouvrage portant sur Michel Deguy et publié en 1995. La présente formule, reprise de la propre expression du poète et philosophe, résume bien toute la complexité d'une figure qui se déclare encore « à venir » à l'âge de 65 ans, malgré sa présence indéniable tant par l'abondance de sa création poétique que celle de sa réflexion théorique. Elle permet de rendre compte de la difficulté à revendiquer ce statut à l'époque moderne.
Nous nous proposons de fonder notre étude sur les poèmes « Seuil », « Le traître » extraits du recueil Poèmes de la presqu'île, et « le poète aux yeux cernés de mort », « ou plutôt comme bête » dans la section « le poète » extraite de Biefs.
Aussi paraît-il important de se demander comment, en s'appuyant sur les restes, c'est-à-dire en se faisant passeur de la tradition, la figure prismatique du poète que forge Michel Deguy dans ces quatre poèmes, tente-t-elle de trouver une identité moderne dans le seuil entre philosophie et poésie.
[...] La figure du poète découlerait alors ici de la figure traditionnelle du passeur païen qu'est l'oracle et du prophète chrétien, intermédiaire entre les dieux et les hommes. Cependant, les poèmes seuil et ou plutôt comme bête marquée du sceau ne mettent pas en valeur un dialogue, mais plutôt la trace d'une absence un vestige un signe que le poète cherche à déchiffrer dont il ne connaît pas la langue et qui marqué dans son dos a été dérobé à sa vue. [...]
[...] Aussi la figure du poète fait-elle l'objet d'une recherche constante chez Michel Deguy. Son identité, son rôle, sont objet de comparaison au sein des quatre poèmes du corpus et ailleurs. Le poète y est tour à tour voyageur, semeur, traître ou bête comme autant de symboles que lui offre la richesse de la langue. Comme Baudelaire, il rejoue l'analogie dans la proposition du poème. L'albatros, le chiffonnier, le pendu, sont quelques exemples qui montraient déjà le poète comme figure impossible ainsi que le déclare Christian Doumet dans le Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours en 2001. [...]
[...] L'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert indique que le poème philosophique, selon le but des sciences, doit éclairer. Mais pour Valéry en 1960 : Philosopher en vers, ce fut et c'est encore, vouloir jouer aux échecs avec les règles du jeu de dames. Le poète prenant pour exemple le vers d'Hugo : Un affreux soleil noir d'où rayonne la nuit le déclare comme incapable d'émettre une pensée acceptable Par ailleurs, Michel Deguy sait que si la poésie est morte avec Rimbaud, il déclare également dans Réouverture après travaux que l'homme ne croit plus le philosophe Aussi est-il impossible de voir dans Seuil une nouvelle allégorie qui dispenserait un enseignement moral aux lecteurs et servirait uniquement d'exemple à une théorie qui pourrait être autonome. [...]
[...] D'ailleurs, si l'on se réfère à la traduction d'Hölderlin par Deguy : le poète est devenu les artistes, pour se confondre ensuite à l'art. La figure du poète est donc multiforme, elle implique une altérité ainsi exprimée dans Grand Cahier Michel Deguy : Il y a au cœur de soi (de cette relation que marque la différence grammaticale du Je au Moi), une opacité, une indifférence ou méconnaissance, un sans attache, une inimitié, une altérité formidable ; un sujet peut s'indifférer ou se haïr voilà l'étrange L'Etranger de cette belle fable de Camus ne nous vient pas d'ailleurs Il empoisonne mon intimité de son extériorité intrinsèque ; je suis aliéné on met l'au-delà à l'intérieur C'est le cas de la bête marquée du sceau qui cherche à déchiffrer les signes à la fois sur lui et dans les choses grâce au fer rougi symbole de la marque laissée sur la peau du bétail ou des esclaves. [...]
[...] Enfin, la figure du poète moderne se comprend pleinement dans le voyageur du poème Seuil dont la faculté de diplopie unit le poète et le philosophe à travers la transposition de l'allégorie de la caverne, et qui se donne pour but de continuer la poésie grâce à son témoignage. La figure du poète au 21ème siècle est donc devenue une figure hybride, obligatoirement modeste face aux ravages des temps modernes. Et si la poésie devine c'est peut-être parce qu'elle reste divine dans son acception moderne, c'est-à-dire exquise, délicieuse, pour un poète qui se donne comme objectif d'être le témoin de son passé et le vecteur de son présent parmi les hommes. * Poétiquement toujours, / Sur Terre habite l'homme. Mais ce qui demeure, les poètes le fondent. [...]
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