En couverture de mon édition du Loup des steppes de Hermann Hesse, un Autoportrait de Munch, celui de 1916. Le peintre, assis à la fenêtre d'un balcon, nous fixe de son œil droit. Derrière lui, quelques taches bleues évoquent des silhouettes féminines sur fond de place publique. Le regard traduit la douleur de la solitude et de l'isolement. Apparemment, Munch avait éprouvé le même sentiment que le héros du Loup des steppes, celui de ne pas appartenir au monde. Sur la couverture de mon édition de Molloy de Beckett, une photographie noir et blanc de l'auteur, datant de 1950. L'image rappelle l'autoportrait de Munch : même posture de profil, même regard sinistre, même contemplation sans objet suggérant qu'elle se tourne vers l'intérieur. Une différence : l'arrière-plan sur la photo de Beckett, vide, simple dégradé du noir au blanc. L'écrivain fixe le sol, désabusé, nullement ébloui par la blancheur qu'il observe. La solitude paraît différente de celle de Munch. Ici, comme ses créatures Molloy et Moran, l'artiste est isolé d'un monde qui n'existe même plus. Mais est-il permis, en dépit de ces choix d'édition, de confondre auteur et personnages, auteur et narrateurs, narrateurs et personnages?
[...] Fictions du soi dans Molloy et le Loup des steppes. Hermann Hesse En couverture de mon édition du Loup des steppes de Hermann Hesse[1], un Autoportrait de Munch, celui de 1916. Le peintre, assis à la fenêtre d'un balcon, nous fixe de son œil droit. Derrière lui, quelques taches bleues évoquent des silhouettes féminines sur fond de place publique. Le regard traduit la douleur de la solitude et de l'isolement. Apparemment, Munch avait éprouvé le même sentiment que le héros du Loup des steppes, celui de ne pas appartenir au monde. [...]
[...] Celle-ci prend dans Le loup des steppes et dans Molloy deux formes diamétralement opposées. La transfiguration d'Harry Haller est vécue sur le mode de l'expérience religieuse, tandis que celle de Molloy et Moran est purement intellectuelle. Le réalisme métaphysique qui caractérise l'écriture de Kafka se trouverait dans une position intermédiaire entre ces deux fictions du soi. Fictions auxquelles participent l'autoportrait de 1916 de Munch, le portrait photographique de Beckett, et surtout le choix d'édition qui les a placés en couverture. [...]
[...] L'écriture expressionniste de Hesse prend parfois un ton religieux où la fiction de soi prend la forme de la réincarnation. On aurait tort cependant de réduire la portée épistémologique du Loup des steppes en accusant son vocabulaire liturgique. Évidemment, la transfiguration de soi est un matériau littéraire depuis longtemps privilégié, ne serait-ce qu'en raison de la relation fondamentale qu'il entretient avec l'acte d'écriture et de création littéraire. Tandis que Hesse, par un vocabulaire religieux, intègre directement ce thème à son œuvre, la transfiguration est éprouvée par les héros de Beckett de façon invraisemblable, grotesque, jamais plausible. [...]
[...] Clairement, l'identité et le rapport au monde sont des enjeux formels dans Molloy et dans Le loup des steppes. Le héros du Loup des steppes, Harry Haller, porte les mêmes initiales que l'auteur Hesse. Son double féminin, qu'il rencontre au théâtre magique, s'appelle Hermine, féminisation du prénom Hermann. Ces allusions rappellent entre autres le personnage du Procès et de la Métamorphose; la métamorphose étant un enjeu narratif dans Molloy (celle suggérée entre Moran et Molloy) comme dans le Loup des steppes (celle explicite dans la scène du théâtre magique intitulée Guide pour la reconstruction de la personnalité Déjà ce thème de la métamorphose suggère que l'invention narrative de soi commune aux deux romans doive être dissociée de l'autoportrait et de la tradition autobiographique. [...]
[...] Dans Molloy et le Loup des steppes, cette fabulation n'est plus seulement un thème littéraire. Articulée au personnage de l'auteur c'est-à-dire à l'auteur en tant qu'il est un personnage, elle devient un enjeu formel qu'on pourrait appeler la fiction du soi. Bien qu'elle s'en approche dans la forme qu'elle pastiche, cette fiction du soi n'a rien à voir avec le journal intime qu'elle évoque de façon plus parodique que sérieuse. Dans Le loup des steppes, elle prend une forme mystique, selon le thème nietszchéen de la désindividualisation, dans la joie dionysiaque de la fête. [...]
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