Georges Steiner est un philosophe, romancier et linguiste, franco – anglo – américain qui naquit à Paris le 23 avril 1929. Ses parents autrichiens venaient de fuir l'antisémitisme galopant de leur pays pour s'établir en France. Toujours face à la même menace ils partirent aux Etats-Unis en 1940. Même s'il se déclara plusieurs fois athée, Georges Steiner fut marqué par les menaces visant ses parents et sa communauté, cela se ressent dans son œuvre, où l'on retrouve très souvent le thème de la Shoah.
En tant que philosophe il a consacré sa réflexion à analyser les rapports qui existent entre l'art et la transcendance, mais aussi entre la culture et la barbarie. On retrouve ces thématiques dans son ouvrage intitulé Dans le château de Barbe-Bleue. Notes pour une redéfinition de la culture. Ce livre fut écrit entre septembre 1970 et janvier 1971.
Il faut savoir que le livre était initialement intitulé La culture contre l'homme, il lui fut ensuite donné le titre qu'on lui connaît actuellement, sûrement pour nous faire comprendre que la « redéfinition de la culture » que cherche l'auteur est finalement liée aux problématiques du conte de Perrault et à la musique de Bartok qui le retranscrit. En ouvrant les portes une par une, on cherche à comprendre la situation, mais on pousse aussi le domaine du doute et du soupçon, quitte à perdre confiance petit à petit, porte après porte.
Le livre cherche à revenir tout d'abord sur l'évolution de la culture au cours des siècles dans l'espace européen, puis sur ses rapports avec la barbarie et enfin l'auteur termine en essayant d'analyser la situation actuelle de « l'après culture ».
[...] Cependant, il reste peut-être un espoir, selon Steiner, dans cette folle course en avant. Pour le domaine des arts, il existe en effet encore une certaine limite infranchissable : Mozart et Rembrandt seront peut-être un jour égalés, mais jamais dépassés. Mais pour conclure, l'auteur reste sur un jugement assez pessimiste. Il note que cette inexorable progression de l'humanité a ses impacts, notamment sur l'écologie. Mais personne ne s'en doute. Nous ouvrons les portes en enfilade du château de Barbe Bleue parce qu' elles sont là parce que chacune mène à la porte suivante (p.151) Cela serait un signe de trahison ou de lâcheté que de laisser une de ces portes fermées. [...]
[...] Elle est la clé du mystère suprême de l'homme : c'est une forme d'engagement universel fondamental. Dans les dernières pages du livre, on sent Steiner assez inquiet sur le futur et sur le repoussement constant des limites du progrès. Il s'effraie notamment à l'idée que la mémoire de l'ordinateur soit maintenant supérieure à celle d'un cerveau humain. Ce renversement du rapport entre l'intelligence et le savoir disponible l'inquiète au plus haut point. Steiner va même jusqu'à imaginer de futures colonies spatiales pour quitter une planète polluée, surpeuplée et décimée par les guerres. [...]
[...] Pour les nazis, il fallait supprimer les témoins inopportuns, la conscience de l'idéal révolutionnaire, pour pouvoir mettre en œuvre leurs propres projets, leurs propres rêves. Le génocide était donc utile pour ramener l'histoire aux dimensions de la cruauté naturelle, de la torpeur intellectuelle, des appétits grossiers de l'homme réduit à lui-même (p.57). Cette démarche se rapproche par ailleurs de la volonté de Nietzsche de tuer dieu mis à part que dans le cas présent on tue ceux qui l'ont inventé. [...]
[...] Or, comme le dit Dante Alighieri dans la divine comédie (Enfer si l'on ferme la porte à l'avenir, on tue toute forme de savoir. On arrive alors au stade que Steiner explique comme étant à la fois réaliste et creux (p.95). Cette désillusion est due aux changements des repères, de la hiérarchie qui crée la confusion. On refuse maintenant les jugements de valeur, alors que ceux-ci faisaient légion auparavant. L'égalité homme/femme ou l'homosexualité ouverte sont autant de remises en désordre de distinction sociale auparavant profondément enracinées. [...]
[...] Pour Steiner il reste passionnant de vivre à ce moment tardif et sans pitié de la civilisation occidentale et selon lui l'espace finira par se suicider avec l'après-culture, car l'Homme, comme le dit Ezra Pound, cité ici par l'auteur, n'est juste qu' : Une cosse dans le vent morte, Mais la lumière chante éternelle. Une pâle flamme au dessus des marécages, Où le foin salé murmure au changement de marée. À partir du moment où nous avons ouvert la première porte, nous nous sommes engagés à explorer toutes les pièces du château de Barbe Bleue, et l'on se rapproche donc inexorablement du sang, des cadavres, de la mort. [...]
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