[...] Terreur et martyre, relever le défi de civilisation s'attache à montrer comment depuis la date tragique du 11 septembre 2001 s'affrontent deux théories qui malgré leur antagonisme ont le même but : faire disparaître le Mal. Les Etats-Unis sont ainsi entrés en guerre contre la terreur dans le but d'éradiquer la menace que représente les islamistes adeptes de l'attentat suicide, tandis que dans l'autre camp on exalte le martyre afin de faire disparaître l'axe « sino-croisé » (il faut ici entendre Israël et ses alliées ou plus largement les Etats-Unis et l'occident). Kepel nous montre que sur le terrain, ni les néo-conservateurs ni aucune mouvance se revendiquant d'Al Qaida n'a pu remporter le combat, l'épreuve de force n'apportant que plus de destruction, de mort et d'incompréhension mutuelle. Ces théories, nées de dissensions plus anciennes qu'elles soient religieuses, politiques, économiques ou sociétales, ravivent les conflits entre chiites et sunnites, perses et arabes, en y ajoutant le spectre de la menace nucléaire iranienne.
[...] Encore une fois, les Etats-Unis firent la démonstration de l'immoralité de leurs méthodes et malgré le fait que l'état-major désavoua les responsables de la prison, la crédibilité de l'action américaine se vit encore entachée au profit du camp des martyrs. L'armée de libération en Irak devint vite une armée d'invasion favorisant la fragmentation ethnique et confessionnelle à l'intérieur du pays. On vit donc resurgir les anciens conflits entre chiites (personnalisés par Moqtada al-Sadr) et sunnites se matérialisant par de violents attentats suicides, le retour d'Al Qaïda (par l'intermédiaire d'Abou Moussad al-Zarqawi qui crée Al Qaïda en Mésopotamie) et l'irruption de l'Iran sous forme de soutien aux sunnites irakiens. On peut qualifier l'invasion et l'occupation de l'Irak par l'Amérique de calamiteuse, transformant les Etats-Unis de victimes à force d'oppression et bourreaux, et le jihad d'insurrection à résistance populaire. C'est l'effondrement du Grand Récit américain de la guerre contre la Terreur.
Ces conflits, directement liés à la disparition du monde bipolaire d'après-guerre et à la mondialisation des échanges, ne peuvent être compris sans un travail de l'espace à différentes échelles. Le travail de Kepel s'inscrit dans l'aire géographique la plus large, celle du monde. Mais il sait aussi réduire ses échelles à des espaces plus ou moins grands : un continent, une région, un pays, une ville. Ainsi il permet une compréhension globale du problème qui resterait inaccessible sans ce jeu d'agrandissement et de réduction (...)
[...] Le deuxième chapitre Du Martyre au Jihad : chiites contre sunnites fait état de ce que l'on pourrait qualifier d'une généalogie du martyre. Ce mode d'action et de revendication fit d'abord son apparition chez les chiites (la branche minoritaire de l'islam), s'inscrivant dans une tradition remontant au martyre de l'imam Hussein à Karbala aux premiers temps de l'islam (680) et que Kepel nomme martyre originel (p. 92). On retrouve le martyre sous sa forme plus moderne en Iran pendant la révolution des années 1970, puis pendant la guerre contre l'Irak au tout début de la décennie suivante. [...]
[...] Pour finir, Kepel montre comment les émeutes dans les banlieues françaises de l'automne 2005, ont servi à certaines factions à légitimer leurs actions, même si on a démontré ultérieurement que ces révoltes n'étaient pas dues à un problème d'ordre religieux. En effet, certains médias américains soutenaient que si la France était la proie au chaos s'était la faute de la mollesse de ses dirigeants et du président Chirac qui avait refusé d'intervenir en Irak. On voit bien issu comment les partisans de la guerre contre la terreur tentèrent de se réapproprier certains sujets en les inscrivant dans leur logique de combat à outrance. [...]
[...] L'auteur développe donc ces différentes théories, en cherchant leurs origines et leurs causes, leurs moyens de diffusion par la propagande sur les anciens et les nouveaux médias et leurs modes d'expressions dans la violence, par le biais de l'action militaire ou de l'attentat terroriste. Il s'emploie avant tout à en montrer limites et incohérences, expliquant pourquoi guerre contre la terreur et exaltation du martyre ne mènent qu'à des cycles de violence sans fin. Il intègre à son raisonnement l'Europe, prise entre le marteau et l'enclume, terre d'immigration et donc de conflits et de frustrations réciproques et théâtre de la violence de l'affrontement. Kepel se demande enfin comment rompre se cycle sans issu de terreur et de martyre. [...]
[...] Ayman al-Zawahiri, même si contrairement à Souri il perçoit les attentats de New-York comme un nouveau départ pour l'Oumma, milite lui aussi pour un jihad mondial. Préconisant la lutte contre Israël plutôt que contre les chiites, il tente de remettre Al Qa'ida au premier plan de la lutte contre l'occident et pour cela multiplie les vidéos diffusées sur internet. Il est considéré comme un penseur du jihad, expert dans les techniques de propagandes modernes et l'un des chefs emblématiques de l'Oumma virtuelle. À l'opposé de Zawahiri, autant par ses origines sociales que par ces outils de contestations, on trouve Abou Moussa al-Zarqawi. [...]
[...] La dernière partie est consacrée à l'analyse du martyre dans une perspective européenne. Pour les défenseurs de la théorie de la terreur, l'Europe a été gangrené par l'islam et la nouvelle donne démographique découlant des diverses vagues d'immigration a permis sa conquête par les islamistes. Le vieux continent devient alors dar al harb (p. 196) ou terre de guerre Le jihad s'organisa d'abord à Londres, dans ce qui était nommé le Londonistan (p. 206), qui fort de la vision social issu du multiculturalisme anglais accueille des idéologues radicaux comme al-Souri, pensant que les musulmans britanniques ne seraient pas touchés par leurs idées. [...]
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