Les faux monnayeurs andré gide
« Tant pis pour le lecteur paresseux ; j‘en veux d‘autres. Inquiéter, tel est mon rôle. Le public préfère toujours qu‘on le rassure. Il en est dont c‘est le métier. Il n‘en est que trop. »
C‘est ainsi que Gide, dans le Journal des Faux-Monnayeurs - sorte de « carnet de bord » qu‘il écrit parallèlement à son unique roman - définit ses intentions : c‘est un livre agressif, difficile, qui veut l‘inconfort du lecteur, qui le dérange dans ses habitudes. Interrogeant sans cesse le genre romanesque, il exige une participation active, un effort de redécouverte, voire de reconstruction : « Je ne prétends gagner mon procès qu‘en appel. Je n‘écris que pour être relu » (Journal des Faux-Monnayeurs). C‘est un récit éclaté, les fils de l‘intrigue échappent. Les personnages déroutent, le ton change sans cesse, mais demeure ambigu, sans que l‘on sache vraiment si l‘auteur se moque de ce qu‘il écrit, sans que l‘on puisse vraiment adhérer aux évènements ou aux personnages, qui sont toujours tenus à distance.
[...] Un lycéen lit dans l'Action Française un article de Maurras. Une des conversations entre Edouard et La Pérouse évoque une musique nouvelle, qui fait de l'harmonie avec des dissonances : c'est la naissance du jazz. Gide s'est d'ailleurs inspiré de son professeur de piano, qu'il vénérait, pour créer le personnage de La Pérouse, surveillant d'étude à la pension Vedel. Chaque fragment du texte, sous une apparence arbitraire, pourrait faire secrètement allusion à un souvenir, comme si Gide l'avait écrit dans une sorte de complicité avec lui-même. [...]
[...] Par contraste avec le Paris bourgeois du VIème arrondissement où est située l'essentiel de l'action, on sort du monde connu. Cette vision est brève, vague et apocalyptique. Comme l'espace, le temps semble réduit à l'abstraction : on ne ressent ni l'écoulement d'une durée, ni le poids du passé, ni l'aspiration de l'avenir. Gide a construit un univers temporel fermé et discontinu, sur un rythme rapide, irrégulier, avec des silences sur les temps forts. L'action commence un mercredi après-midi, au début de l'été, et s'achève en novembre. [...]
[...] L'écrivain Edouard est amoureux d'Olivier, le fils de sa demi-sœur. Celui-ci semble aimer secrètement son ami Bernard, qu'Edouard prend comme secrétaire tandis qu'Olivier entre au service du compte de Passavent, rival littéraire d'Edouard qu'Olivier n'aime d'ailleurs pas, dissimulant son penchant pour Edouard. Heureusement, cette sorte de « maldonne » est redistribuée à la fin du texte, et Olivier et Edouard découvrent leur amour mutuel. Les amours de Laura Vedel, au contraire, sont condamnées : repoussée en Angleterre par Edouard qui aime Olivier, elle épouse sans amour Félix Douviers, un austère professeur de français à Cambridge. [...]
[...] Au contraire, de longues périodes restent dans l'ombre, et la technique du retour en arrière utilisée plusieurs fois rompt un peu plus la continuité du récit. La répartition des chapitres renforce cette impression : chacun est centré autour d'un personnage, d'un point de vue, plutôt qu'autour d'une durée définie. Enfin, les personnages, sans visage, s'apparentent, s'opposent, se dédoublent mais restent bien souvent insaisissables. Tout d'abord, le lecteur ne sait rien de leur apparence physique, et ils sont réduits à leur voix, seule expression de leur pensée. [...]
[...] Là, il sera immédiatement exposé à la cruauté de ses camarades, les jeunes faux-monnayeurs. Jouant de sa timidité et de son extrême sensibilité, ils lui imposent un jeu malsain qui tourne mal et le conduit au suicide. Le roman s'achève sur cette mort, climax indéniable, qui précède le dénouement relatif des liens entre les personnages. Enfin, à ces intrigues principales se rattachent des intrigues secondaires, comme celle de la famille Vedel-Azaïs : après une période de splendeur culminant avec le mariage de Laura Vedel, le suicide de Boris annonce sa ruine et sa dispersion, comme le décrit Edouard. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture