Fantasio, Alfred de Musset, identités sociales, condition humaine, tragédie
Extrait de la scène 5 de l'acte II de Fantasio, le passage se présente comme un dialogue entre le héros éponyme, travesti en bouffon, et Elsbeth, une princesse, à qui il prétend vouloir offrir une boîte à musique en guise de présent de noce. Voie privilégiée du discours, le texte de théâtre fait se rencontrer et converser des personnages fort différents. Ainsi, dans ce texte d'Alfred de Musset, comment se côtoient deux individualités tendues vers des destinées a priori très antinomiques ?
[...] D'ailleurs, celle-ci s'étonne rapidement plus qu'elle ne s'interroge sur cet objet étrange. Or, justement, si Fantasio a recours à ce symbole, c'est pour le paradoxe qu'il incarne, comme le traduit l'antithèse qui met en évidence le fait que l'oiseau aurait perdu la vie, mais garderait néanmoins sa qualité première, son essence même qui est de chanter. Puis, le bouffon a recours à la comparaison pour établir un parallèle entre le serin et les "petites filles très bien élevées". Cependant, le rapprochement repose sur une analogie dépréciative : celle du "ressort" qu'il suffit de tourner pour que les marionnettes s'animent et offrent mécaniquement un spectacle divertissant au demeurant mais fort éloigné de la vie dont elles ne sont qu'un reflet perverti. [...]
[...] Cet écart de rang social est rendu par Fantasio dans une succession d'oppositions accentuée par la redondance de la conjonction de coordination ("Vous êtes ceci, et moi cela. Vous êtes jeune, et moi je suis vieux ; belle, et je suis laid ; riche, et je suis pauvre".) 2 - Le renversement des rôles La déférence de Fantasio est toute relative car elle prend plutôt les traits d'une politesse obligée que d'une réelle soumission à la princesse. En effet, prétextant vouloir offrir une boîte à musique à Elsbeth, Fantasio prend de son propre chef l'initiative de la conversation, s'attribuant presque le statut d'invité à la noce, soucieux que son cadeau soit agréable à la princesse. [...]
[...] Tous les codes traditionnels du merveilleux sont outrancièrement ralliés, jusqu'à saturation du texte ("gracieux / une charmante cascatelle / le plus doux / des nymphes / la fontaine merveilleuse"). Cet excès conduit à la dénonciation ironique d'un discours convenu, insipide ("paroles mielleuses"), voire même vide comme le suggère le sème de l'atténuation (dans les termes "murmure / légères / chuchote / dansoter / secret consentement"). Fantasio accentue la frivolité de cette danse de circonstance en la mimant verbalement. Implicitement, il se moque donc de ce tableau trop parfait (superlatif "le plus"), mise en abyme dans laquelle ce sont alors les "petites filles très bien élevées" qui amusent "l'assistance". [...]
[...] Quant aux termes "mouchoirs", "chagrins" (répété) et "larmes", ils viennent accroître la prédominance de l'isotopie du malheur. De même, la métaphore "des deux roues qui ne suivent pas la même ornière, et qui ne peuvent marquer sur la même poussière" renforce ce constat accablant fait sur l'existence, qui ne permet pas aux contraires, à deux êtres différents de se rejoindre pour être heureux ensemble - Une écriture du tragique Les nombreuses interrogations dans le discours des personnages prouvent qu'ils sont tournés vers la réflexion et se posent en particulier des questions sur leur existence. [...]
[...] Le vocabulaire insiste sur ses déplacements (verbe "marcher" est répété) dans l'ombre (complément circonstanciel de lieu "derrière la tapisserie"). Quant au sème de vision, il prend une connotation négative dans les termes "épies" et "espion", employés pour caractériser l'attitude du bouffon travesti. Or, sous couvert de son "voile" et de sa "robe de noce", Elsbeth joue tout autant sur les faux semblants, comme l'insinue Fantasio. Ce texte permet la confrontation de deux individus, socialement différents, mais se cachant sous des apparences en vue peut-être d'influer sur leurs destinées. [...]
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