Le 2 décembre 1879, Maupassant (1850-1893), dans une lettre à Flaubert, révèle qu'il écrit "sur les Rouennais et la guerre." Il publie les mille cinq cents lignes de l'ouvrage - une nouvelle, Boule de Suif - en 1880 dans un recueil collectif, Les Soirées de Médan, auquel Zola a participé, devient aussitôt célèbre et ce premier succès - relativement exceptionnel - le décide à devenir écrivain. A côté des lecteurs enthousiastes, les critiques accueillent fort bien l'ouvrage, ce qui, il faut bien le dire, n'est pas toujours le cas.
On peut s'interroger à juste titre sur les raisons d'une telle réception. Dans un premier temps, on s'attachera aux raisons qui expliquent tout succès, raisons de circonstances ou d'actualité ; dans un deuxième temps on se penchera sur les raisons qui tiennent à la valeur propre de l'œuvre.
[...] C'est les grands qui font la guerre." En dépit de son titre de noblesse, Maupassant se veut proche du peuple et mène une vie simple de bon vivant sans crainte de déroger, fréquentant les milieux canaille de la capitale. Il tourne le dos à l'Empire et à la monarchie, se déclare bon républicain et termine sa nouvelle par La Marseillaise scandée par Cornudet. Cela ne peut que lui attirer la sympathie du lectorat heureux de vivre enfin en République. Enfin, la nouvelle est à la mode et se prête bien à une lecture pressée. [...]
[...] Celle-ci et d'autres, que Maupassant effleure à peine mais qu'il tient à signifier : Boule de Suif a un rejeton qu'elle ne voit pas souvent, donné en nourrice à Yvetot. Or, un baptême s'annonce à Tôtes auquel elle veut assister, emplie "d'une tendresse subite et violente" pour son enfant. La catin a donc un cœur de mère. Là encore, Maupassant, sans vouloir faire ouvertement œuvre de moraliste, suggère au lecteur que les femmes dites légères sont comme les autres, peut-être mieux que ces dames Loiseau, Carré- Lamadon ou de Bréville : "C'est si bon de prier quelquefois", se justifie- t-elle. [...]
[...] Mais ces raisons de circonstances et d'actualité ne suffisent pas, loin s'en faut, à comprendre le succès de l'ouvrage. Il s'agit désormais de définir les qualités propres à l'œuvre qui en font sa spécificité. L'auteur a investi son ouvrage de thèmes qui lui tiennent à cœur : à la haine de l'envahisseur prussien, quasi-générale, il ajoute son penchant pour les filles publiques, une certaine image de la société et son amour de la Normandie, sa province natale. Maupassant fait une dernière concession au Romanisme en utilisant l'image de la prostituée au grand cœur qui, en se sacrifiant héroïquement, devient une sainte. [...]
[...] En même temps, il nous force à les mépriser de par leur conduite envers Boule de Suif : ils partagent son repas, exigent qu'elle se mette au lit avec l'officier prussien puis l'ignorent pendant qu'ils se gobergent. Maupassant noue l'intrigue dans des lieux fermés - la diligence et l'auberge ce qui accentue l'aspect d'enfermement dans une situation bloquée et contribue à la tension dramatique mais l'action se déroule en Normandie, sa province natale qu'il aimera toujours. Les détails concrets foisonnent : Rouen avec ses rues, ses hôtels et ses faubourgs, la route vers Dieppe, le petit village de Tôtes. [...]
[...] On peut ici se demander si, en composant son œuvre, il ne songeait pas à La Dame au camélia pour en faire l'exact contrepoint. Enfin, il manie parfaitement le genre relativement nouveau de la nouvelle qui, en partie grâce en lui, gagnera ses lettres de noblesse. [...]
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