L'expérience intérieure, 1954, Georges Bataille, Supplice, quête intérieure
Passage situé dans la première moitié de la seconde partie du Supplice, le supplice lui-même étant la partie centrale du recueil, ainsi que celle où Bataille fait face à son sujet le plus étroitement. Divisé en 5 parties, Bataille y brosse un portrait de l'homme axé autour de sa quête intérieure en prenant appui sur les piliers conceptuels que représentent l'angoisse, le rire et l'extrême, ce qui l'amène naturellement à définir de manière profonde et détaillée et tout en la menant, ce qu'est, au fond, l'expérience intérieure.
Ce passage commence par une définition de l'homme riant, suivie par une définition de l'homme commun, c'est-à-dire celui qui n'éprouve pas l'expérience intérieure, et que Bataille va finalement assimiler au pécheur. On a enfin une définition, en forme de préceptes, de l'expérience intérieure et du désespoir, et qui, placée de la sorte, fait figure de réaction.
[...] Les adjectifs à forte nuance dépréciative accolés aux propriétés du pécheur traduisent tout à fait le regard méprisant que lui porte Bataille ; ainsi son oubli est-il terre à terre son rire bête et la rue, avec son visage borné lui montre ses propres traits. II. La deuxième partie du texte a pour objet de montrer l'autre versant du choix, c'est-à-dire la possibilité choisie d'aller jusqu'au bout de la défaillance pour atteindre le désespoir. La première phrase l'annonce d'entrée de jeu : De la fermeté du désespoir, éprouver le plaisir lent, la rigueur décisive, être dur et plutôt garant de la mort que victime. [...]
[...] Elle est comparable, dans son impétuosité, à la figure du doute chez Descartes ; l'existence, même infime, du doute exige que l'on aille au bout de ce doute ; chez Bataille, il en est de même pour la défaillance. C'est donc bien par la voie de la défaillance qu'il doit aller au bout, et la formule la possibilité elle-même le réclame, lui fait savoir qu'elle l'attend fait transparaître clairement l'impétuosité du sentiment ; on pourrait également comparer la défaillance dont parle Bataille au vertige, qui n'est pas la peur de tomber mais la fascination de l'abîme et l'envie presque irrépressible d'y chuter. [...]
[...] On se rend compte que l'on se retrouve devant un début de dialectique hégélienne, qui, pour être entier, ne demande que la réflexion méta-textuelle ; car le fait même que ce texte nous soit donné à lire confesse l'échec partiel de la démarche de Bataille, comme il l'avoue lui-même. Mais n'oublions pas que la dialectique, chez Hegel, se finit par un dépassement ; ainsi, si le pécheur constitue la thèse et le désespéré son antithèse, l'écriture qui étale ces deux figures et qui se déploie par la main même du désespéré qui, pour se signifier lui-même, ne devrait pas écrire, l'écriture se rapprochant davantage d'un acte propre au pécheur, cette écriture réalise la synthèse des deux figures et en est donc le dépassement ; et, alors que l'expérience intérieure, démarche personnelle et sans concession, devient le titre d'un livre qui en relate la réussite en même temps qu'il en avoue l'échec, on voit naître la figure de l'écrivain. [...]
[...] Et de ce fait, Bataille se montre, comme il l'a précédemment revendiqué, plutôt garant de la mort que victime Ce n'est donc pas l'ennui que semble ressentir Bataille, mais plutôt la joie de se savoir à l'abri des passions destructrices sans cesse renouvelées. C'est exprimé plus clairement encore dans la phrase suivante : Le désespoir est simple : c'est l'absence d'espoir, de tout leurre. L'espoir, en tant qu'il amène plus facilement à la désillusion qu'à la joie, est un leurre, et la seule façon de s'en prévaloir est de se tourner vers le désespoir et de s'y pelotonner. [...]
[...] Le péché est envisagé ici non plus comme un manquement au devoir vis-à-vis de Dieu mais vis-à-vis de soi-même ; comme un coup porté à sa propre intégrité. Et par la blessure originelle creusée par la défaillance commence l'insaisissable jeu du péché, du remords, de la simulation du remords, puis de l'oubli total et terre à terre. L'anté-position de l'adjectif insaisissable traduit son caractère essentiel ; le jeu du péché, du remords et de la simulation du remords est ontologiquement insaisissable, et ne peut se conclure, comme signalé ici par l'adverbe puis qui agit à la fois pour montrer une conséquence et une conclusion, que par l'oubli total et terre à terre. [...]
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