L'autobiographie, un genre littéraire à part entière, est selon Philippe Lejeune « un récit rétrospectif, en prose, qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité ». Ce genre littéraire pratiqué par Montaigne depuis le seizième siècle s'est surtout développé au dix-huitième siècle avec Rousseau. « Il ne s'agit plus que de raconter pour soi les souvenirs qui reviennent, d'examiner toujours son âme mais le faire dans la solitude, tourné vers soi-même, détaché de tout souci apologétique envers le lecteur ».
Nous discuterons ces propos en nous appuyant sur deux œuvres autobiographiques : Les Rêveries du promeneur solitaire et Histoire de ma vie. Les Rêveries du promeneur solitaire est une œuvre posthume de l'écrivain et philosophe Jean-Jacques Rousseau, composée de dix promenades qu'il a commencé à écrire en 1776. Les Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt sont l'ancienne édition des Mémoires de Giacomo Casanova, écrits entre 1789 et 1798 et publiés à titre posthume autour de 1825, en version censurée. C'est vers 1960-1962 qu'une nouvelle édition, conforme au manuscrit original, l'a finalement remplacée sous le titre histoire de ma vie. Nous pouvons nous demander si ces auteurs écrivent leur autobiographie uniquement pour eux-mêmes.
[...] L'écriture de soi répond à une quête de sa vérité intérieure, à un examen de conscience. Rousseau le montre bien dès le début de sa première promenade : Que suis-je moi-même? Voilà ce qui me reste à chercher Car l'exigence morale de se connaître est bien au principe des Rêveries du promeneur solitaire. Chaque promenade est une occasion pour son auteur de s'examiner sur une question en particulier. Par exemple, il emploie la quatrième promenade à s'examiner sur le mensonge et la septième promenade à examiner les causes de sa passion pour la botanique. [...]
[...] Contrairement à Rousseau, Casanova, dans sa préface, dit que son écriture n'a pas de but précis : Le lecteur qui aime à penser verra dans ces mémoires que n'ayant jamais visé à un point fixe, le seul système que j'eus, si c'en est un, fut celui de me laisser aller où le vent qui soufflait me poussait Nous avons donc vu que l'écriture est un moyen pour l'auteur de retrouver intact le plaisir des instants heureux et de les revivre quand bon lui semble. Toutefois, un auteur n'entreprend pas uniquement le projet autobiographique pour le plaisir de se relire, mais également pour arriver à la connaissance de soi. [...]
[...] L'autobiographie est une écriture pour soi. En effet, elle permet à ces auteurs de se remémorer les instants de bonheur et également de mieux se connaître. Rousseau, dans ces Rêveries, affirme clairement qu'« n'écri[t] [ses] rêveries que pour [lui] L'écriture est une œuvre de remémoration. Elle réactualise les rêveries passées, les jouissances déjà lointaines. La cinquième promenade restitue la présence de l'île de St-Pierre : ce que j'y ferais de plus doux serait d'y rêver à mon aise. En rêvant que j'y suis ne fais-je pas la même chose? [...]
[...] En faisant leur autobiographie, Rousseau et Casanova se font donc déjà plaisir à eux-mêmes, car ils se remémorent les instants passés et peuvent à tout moment se relire. En même temps, ils accèdent à une connaissance de soi-même. On a également vu que ces deux auteurs ont besoin d'un lecteur malgré qu'ils s'en détachent afin d'avoir plus de liberté. Enfin, la solitude leur est nécessaire pour examiner leur âme. On peut aussi imaginer que le fait d'écrire une autobiographie puisse permettre aux auteurs de laisser une trace indélébile de leur histoire, mais également de l'histoire en général. [...]
[...] Nous allons voir maintenant l'importance de la solitude des auteurs pour examiner leur âme. Rousseau écrivait, en 1762, dans une lettre à M. de Malesherbes: J'allais alors d'un pas plus tranquille chercher quelque lieu sauvage dans la forêt, quelque lieu désert où rien ne montrant la main des hommes n'annonçât la servitude et la domination, quelque asile où je pusse croire avoir pénétré le premier et où nul tiers importun ne vint s'interposer entre la nature et moi Nous retrouvons ce thème de la solitude dans la troisième promenade des Rêveries: c'est de cette époque que je puis dater mon entier renoncement au monde et ce goût vif pour la solitude qui ne m'ont plus quitté depuis ce temps-là Ici, il parle de l'époque de la réforme. [...]
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