Objet d'une longue réflexion théorique, le genre « mineur » de la conversation défini par les dictionnaires de la fin du XVIIe siècle, âge d'or du genre, comme « un sous genre de l'entretien, dont elle serait une espèce familière» n'est pas sans susciter, chez bon nombre de théoriciens, de vives interrogations : quelle est la nature générique de ce « commerce d'esprit » que Furetière et Richelet ne semblent pas distinguer de l'entretien ?
Dans De la conversation ,chapitre premier des Conversations sur divers sujets (1680),Madeleine de Scudéry(1607-1701) livre au lecteur un véritable ‘traité de conversation'; en partie issu de la longue conversation du dixième tome d'Artamène ou le Grand Cyrus , le texte, qui est une conversation de la conversation, permet, comme les dix volumes de Conversations ou Entretiens (inédits ou extraits de ses romans ), d'expliciter les règles de ce qui est l'ingrédient essentiel de l'art de vivre élaboré par la société française, du règne de Louis XIII à la Révolution : la conversation.
Habituée de l'hôtel de Rambouillet avant de lancer, en 1652, son propre salon littéraire honoré par les conversations érudites et galantes, lors des« samedis de Mlle de Scudéry » de La Rochefoucauld, Madame de La Fayette, ou Madame de Sévigné, « Sappho », considérée par ses contemporains comme le grand« maître ès conversation », pose ici les principes du genre. C'est à partir de l'examen des conversations ennuyeuses auquel se livrent les devisants du salon que se dessine, a contrario, la théorie de la conversation déjà illustrée dans la production romanesque de l'écrivain à succès.
Le traité de conversation sous-estimé, remarque M. Fumaroli, par l'histoire littéraire française, nous renseigne sur l'idéal à la fois éthique et rhétorique de l'« agora de luxe » que représente le public mondain ; à travers l'instauration des règles du « jeu » de la conversation, notre ‘traité' établit le haut degré de conscience proprement littéraire que la « forme conversation » a connu durant quatre règnes.
Notre étude visera donc à mettre en évidence les lignes de force intérieures de la forme qui a gouverné, au XVIIe et XVIIIe siècles, ces réunions privées. L'examen de la conversation est celui du passage de la simple description du rituel social où elle est née, à son application aux ‘productions de l'esprit' et à son accès aux catégories esthétiques: les principes esthétiques de la conversation sont avant tout la traduction de son éthique. Au-delà de la définition du genre, faite de l'interpénétration des notions de bienséance, d'enjouement, et de galanterie, une autre conversation a lieu: la salonnière se fait le metteur en scène d'un divertissement privé auquel est convié le lecteur idéal.
[...] À Amilcar qui souhaiterait que soient établies les règles de la conversation, Valérie répond, dans la seconde partie du texte, que la règle principale consiste à ne dire jamais rien qui choque le jugement.» Aussi la conversation commande-t-elle un esprit de politesse qui rejette «les railleries aigres susceptibles d'offenser la pudeur. La conversatio civilis qui désigne, selon les humanistes de la Renaissance, les mœurs civilisées, exige d'observer un code raffiné de bonnes manières dans lequel la parole, régie par l'interdiction de dire quoique ce soit de malséant se veut délicate. [...]
[...] Un des attraits de la forme française de la conversation d'Ancien régime tient à sa longue généalogie; nombreuses sont les influences à l'origine de son substrat théorique. Parmi les fondations anciennes et profondes du genre, on trouve le dialogue platonicien et sa méthode socratique qui rassemblent, dans des lieux familiers, les candidats à l'élection, les met à l'épreuve, et les désabuse. Loin de discuter des problèmes contemporains (c'est le lieu du colloque auquel est amalgamée, à la Renaissance, la conversation), la Conversatio, chrétienne ou philosophique, exprime l'aspiration à une vie allégée du poids des affaires et des calculs (on en trouve la trace dans le sens moderne du mot): même mondaine, et à la française, la conversation suppose une certaine sécession, d'ordre privé, soutenue par des affects privés (amitié, bienveillance) en marge des negotia de vie publique. [...]
[...] Il est possible de traiter de sujets sérieux, mais à condition de les traiter dans le cadre général de l'agrément. Amithone exprime le refus de ces conversations graves et sérieuses, où nul enjouement n'est permis où on n'y rit jamais, et on y est aussi concerté qu'au temple. La notion d'« enjouement qui, par glissement, tend à définir la conversation dans la deuxième moitié du XVIIe siècle constitue l'une des pierres de touche de l'esthétique mondaine de la conversation. D.Denis[22] y insiste: d'abord psychologique en tant qu'il caractérise l'humeur, le terme devient rapidement un concept critique qui résume ses traits principaux et qui entre dans la réflexion esthétique et stylistique sur le meilleur style». [...]
[...] La dimension perlocutoire de la parole est soutenue par le genre épidictique ; intrinsèquement lié à la morale, ce genre permet à l'écrivain de blâmer les défauts et vices des types mis en scène pour mieux souligner l'éthos de l'orateur idéal Le plaisir de la conversation : enjouement et raillerie Art d'être heureux ensemble la conversation a pour but et d'instruire (docere) et de plaire (placere) Comme le suggère la parenté sémantique des mots conversatio et convivium qui tendent à se confondre à la Renaissance, le fait de converser renvoie au plaisir de parler ensemble. Le principal écueil à éviter est en effet, de l'avis de tous les devisants, l'ennui. La mauvaise conversation est, on l'a déjà évoqué, la conversation ennuyeuse, celle qui se situe du côté de l'intérêt et de l'utile. [...]
[...] Au terme de l'étude de la rhétorique de la conversation, nous pouvons conclure, avec Marc Fumaroli que : Savoir persuader [ ] est une compétence rentable. Entrer en conversation, sophistique ou naturelle, c'est entrer dans le jeu avec des partenaires que l'on tient pour ses pairs, et dont on n'attend rien d'autre que le plaisir de bien jouer. La dimension ludique et plaisante de la conversation est mise en évidence par Claude Irson dans sa Nouvelle méthode pour apprendre facilement les principes et la pureté de la langue francoise (1656) : dans l' entretien qui se fait avec touts sortes de personnes sur tous les sujets qui se présentent et qui est ou de Galanterie, ou de raillerie, ou d'Amour, ou de choses indifférentes , rien ny est forcé, n'y contraint; ny donne tout au plaisir et au divertissement.» III Conversation avec une femme écrivain Ainsi que le souligne J. [...]
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