Tous les exégètes reconnaissent à l'œuvre de Montaigne une particularité qui, en dépit du succès immédiat des Essais et d'une approbation quasi générale, dressa contre lui bien des critiques : l'apparente contradiction des idées et des positions, le fouillis qui en résulte dans la présentation de cette pensée très novatrice.
En soulignant cette particularité du caractère, de la pensée et de l'écriture du seigneur d'Eyquem, nous mettrons en évidence combien cet homme à la pensée moderne, humaniste précurseur, est bien le produit de son temps, des hasards et des difficultés de son époque. Ainsi, ce fouillis cache une grande maîtrise de la pensée et des idées qui permet à l'auteur des "Essais" de tirer de sa réflexion une philosophie de la vie et une analyse de l'âme et de l'esprit humains libre de toutes les modes et contingences sociales.
Pour Montaigne, au-delà de toutes ces contradictions, jaillit au fil de la lecture des "Essais", l'unité d'une pensée ferme et nuancée : Bien écrire, c'est suivre du plus près possible le cours d'une idée qui traduit les expériences, les "essais" d'une vie. L'art est au service de la vie, de la nature. Comme son sens l'indique, il ne doit être qu'adaptation.
[...] Si avons-nous beau monter sur des échasses encore faut-il marcher sur nos jambes. Et au plus élevé trône du monde si ne sommes assis que sur notre cul. Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rangent au modèle commun et humain, avec ordre, mais sans miracle et sans extravagance. Or la vieillesse a un peu besoin d'être traitée plus tendrement. Recommandons-là à ce dieu, protecteur de santé et de sagesse, mais gai et social : Frui paratis et valido mihi, Latoe, dones, et, precor, integra Cum mente, nec turpem senectam Degere, nec cytera carentem. [...]
[...] La fortune de la famille et l'ouverture d'esprit de son père préparent le jeune Montaigne au plus grand avenir. Bien en cour, proche du roi et de son conseil, le père de l'auteur sera avant son fils maire de Bordeaux. Tous ces éléments, constitutifs d'une vie et d'un caractère, sont comme la clé de l'œuvre du philosophe Montaigne. Esprit curieux, à l'aise auprès des paysans comme des courtisans, il reçoit une éducation inspirée du modèle italien où son père avait séjourné, inspiré de l'humanisme codifié par Erasme et fondé sur la culture gréco-latine. [...]
[...] La lecture des Essais où l'auteur s'y peint au vif et précise qu'il a été lui-même la matière de son ouvrage montre un portrait peu embelli d'un preud'homme du XVIe siècle : C'est un livre de bonne foi où l'auteur se peint volontiers tout entier et tout nu Pourtant, il ne se dresse pas une statue à planter au carrefour d'une ville XVIII), et ne laisse rien à deviner de lui Car il est dans son ouvrage bien plus sincère encore envers lui-même qu'il ne l'est dans la vie courante : plusieurs choses que je ne voudrais dire à personne, je les dis au peuple, et sur mes plus secrètes sciences ou pensées renvoie à une boutique de libraire mes amis plus féaux (III, IX). Cette présentation que l'auteur fait de lui-même et qui sert de base à sa réflexion sur l'esprit de l'homme en général, nous la retrouvons dans l'ensemble de l'ouvrage et pas seulement dans les chapitres comme ceux De la présomption, De trois commerces, ou De la vanité. Se dégage ainsi une impression vite générale, de cette peinture aux touches multiples qui présente mille facettes différentes et parfois totalement divergentes de l'auteur. [...]
[...] Je ne vise ici qu'à découvrir moi-même, qui serai par aventure autre demain, si nouveau apprentissage me change dit Montaigne. On lui reprochera parfois de n'avoir pas soigné la forme. Il répond qu'il ne corrige pas son livre, pour représenter le progrès de ses humeurs : Je veux représenter le progrès de mes humeurs et qu'on voie chaque pièce en sa naissance XXXVII). Souvent Montaigne, qui méprise le métier d'écrivain, parle de son art d'écrire. Soit directement, soit indirectement, à travers les opinions qu'il exprime sur les autres auteurs. [...]
[...] S'il subsiste quelque obscurité, Montaigne le regrette fort, même s'il arrive qu'il veuille qu'on puisse la prendre pour une preuve de profondeur. Mais n'y a-t-il pas là une obscurité volontaire ? Cette farcissure est un peu hors de mon thème. Je m'égare, mais plutôt par licence que par mégarde. Mes fantaisies se suivent, mais parfois c'est de loin, et se regardent, mais d'une vue oblique Les noms de mes chapitres n'en embrassent pas toujours la matière C'est l'indiligent lecteur qui perd mon sujet, non pas moi Pour Montaigne, au-delà de toutes ces contradictions, jaillit au fil de la lecture des Essais, l'unité d'une pensée ferme et nuancée : Bien écrire, c'est suivre du plus près possible le cours d'une idée qui traduit les expériences, les essais d'une vie. [...]
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