C'est entre 1902 et 1904 que Joyce produit les nouvelles, ses premières, dont l'ensemble s'intitulera « Dubliners », Gens de Dublin, publiées en 1914. Elles sont subtilement mêlées d'ironie et visent la destruction de l'intégrité de l'individu. C'est un tableau de vies grises, irrémédiables, sans espoir, sans pitié, sans tendresse, où l'on ne parvient pas à se libérer des oppressions et des interdits. Deux galants est une nouvelle qui reproduit ce schéma et dégage l'odeur particulière de la dépravation qui obsède Joyce : l'errance dans le milieu de la rue y devient systématique.
Le succès de ses récits de Gogol sur Pétersbourg a d'abord tenu à l'insolence avec laquelle Gogol s'en prend à la société russe, à ses habitudes, et en particulier à la rigidité de son administration. La « PN » date de 1833-1834 et apparaît dans le recueil des « Arabesques », publié en 1835. Pétersbourg, nouvelle capitale fondée ex nihilo par Pierre le Grand au début du 18ème siècle pour donner à la Russie, au bord de la Baltique, une fenêtre sur l'Occident est une ville moderne, cosmopolite et brillante. Sa splendeur monumentale, ses palais, ses cathédrales, ses places, ses canaux, en ont fait un objet d'admiration inconditionnelle : elle a été un thème littéraire presque dès son origine. Mais ici, Gogol nous montre que la PN, dans tout ce qu'elle a d'occidental, est, contrairement aux apparences, un tableau contrefait qui recèle bien des pièges pour tous les promeneurs qui y errent.
L'errance apparaît donc à des degrés différents dans ces deux nouvelles. Comment se manifeste-t-elle chez Joyce et Gogol ? Quelles sont ses caractéristiques ? Et quelles leçons ces deux nouvelles nous donnent-elles sur ce comportement ?
[...] L'air mélancolique que joue le harpiste dans la rue prend le dessus sur les distractions qui peuvent lui faire oublier le vide de sa vie. Alors il change d'attitude, se tait, nous épargne des discours futiles : il suspend un instant son jeu de rôle. Quand Corley part retrouver sa nouvelle compagne, Lenehan, comme un petit garçon, se hâte de lui demander quand il revient, car il a peur de se retrouver seul face à toutes ces heures encore vides qu'il aura à remplir. [...]
[...] Piskariov va d'ailleurs tomber dans le piège de cette apparence trompeuse qui jette un voile sur les choses et les personnes. Ainsi Piskariov, jeune peintre rêveur, parvient à prendre une jolie prostituée pour une grande dame éblouissante de beauté. Et c'est l'atmosphère particulière de la rue, troublant ses sensations, qui paraît lui donner le courage de suivre cette jeune femme : il est poussé par une force irrésistible Ce goût pour la futilité, le spectacle, prend toutefois une note de fausseté. [...]
[...] On apprend d'ailleurs un peu plus loin qu'ils parlent de leurs conquêtes. Ces deux complices ont un style de vie tout à fait particulier : ils passent leurs journées à traîner, à se promener dans les rues ou fréquenter les pubs. Lenehan erre dans les rues pour laisser passer le temps On peut le voir à travers l'attitude passive qu'il arbore, comme en témoignent toutes les expressions au passif telles on l'englobait pour une tournée etc. Corley le plus entreprenant, va rejoindre la servante qu'il a séduite tandis que Lenehan, se retrouvant seul face au vide de sa soirée, l'attend impatiemment. [...]
[...] Tôt le matin, la PN est presque déserte, et les magasins ne sont pas encore ouverts. Alors, seuls quelques mendiants et quelques vieilles dames mal habillées se permettent d'y passer en toute hâte. Le matin, la PN n'est un but pour personne ; c'est uniquement un lieu de passage : les gens l'empruntent pour acheter un objet particulier ou pour atteindre un autre lieu. Et ils ne peuvent pas penser à la PN parce qu'ils sont plongés dans leurs préoccupations. [...]
[...] Les gens qui aiment à flâner dans les rues sont des gens perdus qui se cherchent. Mais au-delà de cette constatation, Joyce nous permet de mieux comprendre la psychologie de ces personnes qui aiment à passer leur vie dans la rue : ce sont des gens qui jouent un jeu permanent, se fabriquent une personnalité factice pour ne pas avoir à se demander qui ils sont, pour ne pas avoir à entrer dans la vraie vie et prendre des responsabilités. [...]
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