Un essai qui attaque certaines tendances des auteurs et de la critique, tout en présentant et défendant en contrepartie le « nouveau roman ». L'Ère du soupçon se nomme ainsi car le soupçon qu'émet le lecteur face à la vérité autrefois conventionnée du héros est l'élément déclencheur d'une cascade de phénomènes dont le nouveau roman est l'aboutissement.
Dans le deuxième, Sarraute revient sur certaines affirmations du premier et fait un bref historique de la psychologie dans le roman.
[...] Racine, Corneille) des phénomènes psychiques mais non explicite et toujours au discours direct (cf. Vinaver, voire Lagarce). Consommant le divorce de la psychologie et du roman. Toutefois, Sarraute ne s'arrête pas à cette hypothèse, et soutient que le renouveau du roman vient de l'exploitation dans n'importe quel support (même du Tolstoï ou du Stendhal refaits —mais ni Proust ni Joyce d'une matière psychologique nouvelle [ ] qui se trouve dans tous les hommes et chez toutes les sociétés. Laquelle ? [...]
[...] A cet examen succède un état des lieux inquiétant : Selon toute apparence, non seulement le romancier ne croit plus guère à ses personnages, mais le lecteur, de son côté, n'arrive plus à y croire. Dans nombre d'œuvres du temps de Sarraute, un être sans contours, indéfinissable, insaisissable et invisible, un je anonyme qui est tout et qui n'est le plus souvent qu'un reflet de l'auteur lui-même, a usurpé le rôle du héros principal et occupe la place d'honneur. Les personnages qui l'entourent, privés d'existence propre, ne sont plus que des [ ] modalités de ce je tout-puissant Toutefois, cette tendance à la focalisation sur un je aussi totalitaire que déshumanisé selon les codes classiques du roman témoigne d'une évolution qui n'est pas une régression, d'un état d'esprit singulièrement sophistiqué Le lecteur ne se reconnait plus dans le héros, n'y retrouve pas de type Le héros divise auteur et lecteur, le premier n'y mettant d'humanité que des représentations à l'état brut ; le deuxième tâtonnant pour percer à jour l'inconnaissable, le cogito du personnage. [...]
[...] Ce roman, malgré les objections et les effets indésirables qu'il soulève, prend son sens par le raffinement, la douceur avec laquelle le personnage se constitue au regard du lecteur. Pas d'action brutale, peu d'action même, une intrigue invisible ou translucide, car la clarté et la concision de la narration provoquent la typisation des personnages. Sarraute s'étonne encore du contexte de l'apparition du nouveau roman en citant J. Tournier : Plus personne n'ose avouer qu'il invente Elle l'admet, le petit fait vrai suscite encore beaucoup l'intérêt, là où le tout-fictif rebute encore et toujours le lectorat. [...]
[...] Le principe est que ces états ne pouvant être communiqués directement, et étant bien plus importants qu'une pensée réflexive alourdie et artificielle, le nouveau roman prend sa dimension psychologique par la transmission directe de tels états au lecteur par des images qui en donnent des équivalents Seulement voilà : une telle introspection (car on ne peut connaitre si intimement que son propre esprit) pose la question du narrateur. Dès que le romancier essaye de [décrire ces états] sans révéler sa présence, il lui semble entendre le lecteur, pareil à cet enfant à qui sa mère lisait pour la première fois une histoire, l'arrêter en demandant : qui a dit ça ? Le récit à la première personne satisfait la curiosité légitime du lecteur et apaise le scrupule non moins légitime de l'auteur. [...]
[...] Ces progrès de l'introspection (qui se présente comme une inspection) psychologique rendent encore plus secondaire l'action. L'élément psychologique [ ] se libère insensiblement de l'objet avec lequel il faisait corps. Il tend à se suffire à lui-même et à se passer le plus possible de support. C'est sur lui que tout l'effort de recherche du romancier se concentre et sur lui que doit porter tout l'effort d'attention du lecteur. Et Sarraute de conclure ce raisonnement : Voila pourquoi le personnage n'est plus aujourd'hui que l'ombre de lui-même. [...]
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