El siglo de las luces d'Alejo Carpentier retrace les répercussions en Amérique latine et dans les Caraïbes de l'événement historique qu'est la Révolution française. Il ne s'agit cependant pas d'un « roman historique », si l'on comprend le roman historique comme une narration fictive visant la reconstruction réaliste et mimétique d'un cadre historique précis, selon un engagement plus ou moins fidèle à situer l'action du récit par rapport à un ensemble de données exactes ou objectives, dans la mesure où ces données sont produites par la science historique. Au contraire, le roman de Carpentier problématise la représentation de l'histoire et du temps de l'histoire.
La publication en 1962 de ce récit sur la Révolution française coïncide avec une autre révolution, celle menée à Cuba par Fidel Castro. La coïncidence, même accidentelle, force la comparaison. Comment lire El siglo à la lumière de la révolution castriste? À l'inverse, est-ce que El siglo peut offrir une interprétation des événements contemporains à sa publication? Inévitablement, la comparaison en suscite d'autres : peut-on interpréter la révolution cubaine à l'aune de la Révolution française, et vice versa? Dans ce jeu des comparaisons, que l'on peut prolonger à l'infini, l'interchangeabilité des termes suggère déjà que l'événement historique et la fiction narrative partagent une nature commune pouvant rendre opérationnelle leur comparaison. C'est à partir de cette nature commune, celle de construction discursive (voire imaginaire) que le roman El siglo pose la question centrale de cette problématique de la représentation de l'histoire et du politique : qu'est-ce qu'une révolution?
[...] Au septième et dernier chapitre, un saut chronologique nous fait voir Carlos qui enquête pour apprendre que Sofia et Esteban sont morts à Madrid, en 1808, en résistant à l'armée napoléonienne. * À travers les allées et venues des personnages[24], l'action du récit couvre une période de vingt ans qui correspond aux gouvernements de l'Assemblée constituante, de la Convention nationale, du Directoire, du Consulat et de l'Empire. Dans cet itinéraire géographique et historique, les personnages se rapprochent puis s'éloignent physiquement et idéologiquement de l'événement historique en cours qui s'accomplit en une suite de réactions et de contre-réactions. [...]
[...] La discussion se termine écourtée par le bruit de la guillotine qu'on assemble sur le pont du bateau. Chose la plus nécessaire à bord avec l'imprimerie selon Victor Hugues, la guillotine est introduite au Nouveau Monde en même temps que le décret du 16 pluviôse an II qui abolit l'esclavage dans les territoires français. L'œuvre contradictoire de la Révolution française est maintenant transportée dans les colonies, avec son idéalisme mais aussi sa barbarie, celle de la Machine la guillotine barbarie omniprésente dans El siglo de las luces comme un renvoi constant à l'ironie du titre qui pose la question : comment les Lumières ont-elles éclairé l'Amérique latine? [...]
[...] * Deux motifs récurrents dans El siglo renvoient à la configuration spatiale d'une telle représentation de l'histoire : la spirale et le cyclone. À deux reprises, Esteban entreprend pour fuir la scène de la politique et de l'histoire des excursions en nature où il découvre justement le sens de sa propre expérience historique. L'observation d'un coquillage le plonge dans une méditation contemplative sur le sens de sa forme spirale : Le buccin était le médiateur entre ce qui était évanescent, glissant, entre la fluidité sans loi ni mesure, et la terre aux cristallisations, aux structures et aux alternances, où tout était saisissable et pondérable. [...]
[...] Ne pouvant diriger avant l'âge de la majorité le commerce de leur père dont ils ont hérité, les enfants ne sont plus soumis à aucune autorité et vivent une liberté absolue. Typiquement Ancien Régime, la maison coloniale dont ils ne sortent jamais devient la terre d'accueil fantasmagorique d'une société anarchique, fraternelle (littéralement), marquée par la désorganisation et la frénésie, par une exaltation et une confusion qui annoncent ou rappellent celle vécue de l'autre côté de l'océan par le peuple français. [...]
[...] En ce sens, El siglo de las luces représente plutôt l'effort remarquable d'un auteur pour inscrire sa première appartenance culturelle, l'Amérique latine, dans la grande tradition humaniste. Le Siècle des Lumières, Alejo Carpentier, Gallimard Folio p.32 ibid., p.39 ibid., p.43 ibid., p.55 ibid., p.56 ibid., p.58 ibid., p.59 ibid., p.59 ibid., p.77 [10]ibid., p.89-90, les italiques marquent le français dans le texte original espagnol ibid., p.91 ibid., p.87 ibid., p.132 ibid., p.141 ibid., p.149 ibid., p.164 ibid., p.170 ibid., p.171 ibid., p.282 ibid., p.288 ibid., p ibid., p.341 ibid., p.426 De La Havane à Santiago, à Port-au-Prince, à Paris, aux Pyrénées, à la Guadeloupe, à Cayenne, à Paramaribo, jusqu'au retour à La Havane, à Cayenne, puis à Madrid. [...]
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