La version définitive du roman de Flaubert fut reçue avec hostilité de la part de la critique, lors de sa publication sous forme de livre. Seuls quelques esprits amis, dont Georges Sand, Théodore de Banville et Emile Zola, prirent sa défense ; mais les critiques négatives ne manquent pas, comme celle de Fernand Brunetière constatant que "L'Education sentimentale" est d'une lecture insupportable, ou Henry James parlant, indirectement, d'un échec, des jugements défavorables, donc, qui découlent d'une comparaison plus ou moins implicite de ce roman avec "Madame Bovary".
"L'histoire d'un jeune homme" apparaît dès lors facilement comme un récit exempt d'unité de composition, et même manquant de composition tout court, ou bien comme un texte dégageant une impression d'ennui, de lenteur, de frustration : sa première lecture est souvent une expérience pénible, voire déprimante. Et ce n'est pas que la deuxième lecture efface les aspects négatifs du héros et de ses mésaventures, mais le lecteur critique les dissocie de la question de savoir si le roman est une réussite en tant que texte littéraire. Une narration n'échoue pas par le simple fait qu'elle relate un échec ; elle peut, au contraire, mériter nos applaudissements tout en rappelant les déconvenues d'une expérience décevante, ce qui semple être le cas de L'Education sentimentale pour plusieurs critiques, comme Georges Lukacs ou encore Charles Du Bos :
L'Education sentimentale est en fait une narration qui exerce plus que toute autre une espèce de contrainte anonyme sur quiconque entre dans son univers clos, et cette impression négative de la part du lecteur est d'autant plus difficile à éviter qu'elle se refuse à une prompte explication. C'est ainsi que ce roman engendre le sentiment de fatalité.
« L'auteur, dans son oeuvre, doit être comme Dieu dans l'univers, présent partout, et visible nulle part. » (Correspondances, 3). Ce dogme esthétique, formulé par Flaubert en 1852, semble parfaitement résumer la gageure littéraire de L'Education sentimentale. Elle porte sur le rapport entre l'auteur et son oeuvre, et plus particulièrement sur la manifestation de ce rapport dans l'oeuvre. Or l'idéal de Flaubert est de supprimer cette manifestation, ou de la réaliser sous le signe négatif de l'invisibilité : créer et rester omniprésent dans sa propre création, mais sans représenter l'acte de création ni se révéler comme cause créatrice.
→ La mise en oeuvre de cette esthétique est-elle possible ? Quelles sont ses répercutions sur le réseau des relations internes du roman ?
[...] La maladie d'Eugène porte la marque la plus nette de l'intervention directe de l'auteur dans l'univers fictif. Il ne s'agit pourtant pas de ce qu'on appelle une intrusion de la part du romancier, bien au contraire, celui-ci évite de se nommer au moment où il décide si définitivement du sort de son héros. Le romancier n'est pas seulement l'auteur de l'œuvre parfaite, mais aussi celui de toutes les imperfections qui constituent l'objet du récit, même s'il prétend ne faire que les représenter d'après le modèle de la vie humaine. [...]
[...] [ ] : le désespoir produit dans l'imagination de Frédéric les visions d'un mouvement fatal dont il est exclu (et pour une fois que l'éternel passager n'est pas embarqué, Madame Arnoux, elle, l'est). Involontairement Frédéric assiste au défilé imaginaire des actions manquées sous forme de véhicules qui emportent son idéal en l'éloignant de lui. Le jeu de perspective est donc réciproque, et peut théoriquement s'invertir à volonté, l'arrêt du mouvement figurant l'idéal rêvé du voyageur, et le départ celui du sédentaire. [...]
[...] Si l'article et le portrait le compromettent pareillement, n'oublions donc pas qu'il en est lui-même l'instigateur. Exemple 2 : la soirée chez les Dambreuse Trois jours plus tard, il va à une soirée chez Madame Dambreuse dont le mari lui a déjà déclaré l'intention de l'associer à des affaires importantes. Dans ce passage d'une dizaine de pages, nous assistons alors à un véritable défilé au présent des fautes, liaisons, engagements passés de Frédéric : tout ce qui pouvait le compromettre se trouve ressuscité à un moment très important pour lui, et vient anéantir ses espoirs les plus chers. [...]
[...] Tout dépend de sa présence explicitement créatrice et organisatrice dans Jacques le fataliste, tandis que dans la première phrase de L'Education sentimentale sa voix est absente, rien ne trahit le caractère fictif de la réalité. L'auteur s'est effacé, aussi prétend-il ne plus intervenir dans sa création après l'acte créateur. Par la phrase initiale, le romancier a donc conclu un pacte tacite de non-intervention avec son lecteur qui en conçoit une attente précise pour la suite : Par la suite, en ne retenant que le mouvement des colis qui montent, Flaubert décrit un mouvement sans l'expliquer. [...]
[...] La perspective dans ce texte coïncide donc avec celle des passagers, ce qui veut dire que, lecteurs, nous nous trouvons dès le début embarqués sur le bateau. Notre lecture nous situe d'emblée à l'intérieur du monde fictif, ne nous accordant point le privilège de la distance objectivante. La perspective que l'auteur nous impose nous établit aussitôt comme sujets. C'est par le moyen de la perspective narrative que l'auteur réussit à nous placer non pas en face, mais à côté de ce jeune homme solitaire. [...]
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