La structure de A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie interroge les lecteurs. Le rapport que nourrit Hervé Guibert à son propre texte renvoie à celui qu'il entretient vis-à-vis de la vie qu'il présente, et par conséquent de la maladie qu'il devine progresser. Car c'est sa maladie qu'il écrit, c'est son sida qui est le protagoniste, celui qui prend l'espace et qui s'impose de plus en plus fortement. Ce n'est pas un ennemi reconnu instantanément, et c'est l'un des enjeux du roman de montrer cet avancement dans la connaissance de ce mal visible partout autour, supposé chez lui, mais jamais clairement identifié. Le thème de la double identité se met lentement en place, car le sida devient un élément de division, division extérieure (par rapport à ceux qui ne sont pas malades) et interne (à l'intérieur même de l'individu, qui tâtonne, qui refuse et accepte tour à tour la maladie). C'est l'écriture, à travers l'objet du livre écrit comme un journal, qui fait le lien entre ces différents éléments. C'est le livre qui raconte l'histoire.
L'écriture du livre et le rôle des personnages prêtent à confusion. L'auteur, en jouant sur les codes de l'autofiction, est-il également écrivain ? Le travail d'écriture implique-t-il nécessairement la présence d'un écrivain, c'est-à-dire la création d'une œuvre, ou bien seulement d'un auteur (un écrivant, comme le serait un journal, sans intention créatrice spécifique et spécifiée)? De fait, est-il vraiment nécessaire de départager les deux, est-ce que l'un n'implique pas l'autre ? N'y a-t-il pas une identité commune au deux, que la maladie, ici, se contenterait de révéler ?
[...] Lorsque le poids se fait trop lourdement ressentir. Il a également besoin de ce sentiment d'union dans la mort, il a peut-être encore présente l'image de Muzil dans la tête : mort loin de ses amis, à cause des liens du sang évoqués ici par la fraternité supposée entre Marine et lui. Il ne veut pas finir ainsi, dans une solitude qu'il fuit à présent, qui lui rappelle trop la mort. Le sida, en tant qu'il est une maladie mortelle, modifie radicalement sa perception de la vie. [...]
[...] La création de son livre, du livre qui est présenté au lecteur, fait l'objet d'un trouble intérieur féroce. L'écriture de la première phrase du roman est sujette à discussion : je repoussais chaque fois le plus loin possible de moi comme une vraie malédiction, tâchant de l'oublier, car elle était la prémonition la plus injuste du monde, car je craignais de la valider par mon écriture : fallait que le malheur nous tombe dessus.' Il le fallait, quelle horreur, pour que mon livre voie le jour. [...]
[...] Il n'y a plus d'avenir dans la vie, plus de survie : il n'y a plus que la vie elle- même, capturée par le roman. Il (le personnage autant que l'écrivain) est conscient de ce qu'il entreprend. Et, dans cette théâtralisation de l'écrivain, le personnage de Bill prend toute son ampleur. Parce qu'il évoque au départ l'idée d'un certain espoir de survie, Bill apparait comme positif. Mais pour H. Guibert, Bill met en scène sa propre générosité. Il se crée un personnage de sauveur, pour assurer son pouvoir sur ses amis. [...]
[...] A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie sera son livre le plus vendu : le personnage a survécu à la maladie parce qu'elle était rendue impuissante devant le papier. L'auteur et l'écrivain forment une seule et même personne, à laquelle s'ajoute le personnage d'Hervé Guibert. Se multiplier, c'est la solution qu'a apportée l'écriture pour lutter contre le sida, ou contre la mort et l'oubli. L'écriture, pendant bénéfique de la maladie, accorde un moyen de fuite de la mort : son effet est réduit, elle n'est plus négative parce qu'elle ne pousse plus au désespoir. Le roman devient le but à atteindre, la mort une péripétie. [...]
[...] La maladie est partout, elle devient un personnage à part entière, c'est elle qui crée les histoires, qui crée l'histoire d'A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie. Quand Jules vient le rejoindre à Rome, ils sont déjà tous les deux bien atteints : Deux sidas c'était trop pour un seul homme, puisque j'avais désormais la sensation que nous formions un seul et même être, sans miroir au milieu (p.180). Plus la maladie progresse, moins le narrateur trouve de réconfort à être en présence d'autres malades. [...]
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