Lorsque Philippe Jaccottet, après avoir quitté la Suisse, s'installe à Grignan en 1953, il y découvre un séjour où l'appel du paysage l'interpelle avec force. Il ne faudrait pas croire que le paysage de Grignan lui offre la possibilité de retrouver un pays natal, encore moins qu'il y puisse voir les séductions d'un régionalisme quelconque. La découverte que Jaccottet fait loin de son pays natal est celle de la possibilité d'un paysage, c'est-à-dire d'une active vision du monde ; à la rencontre de ces contrées, le poète dépaysé va pouvoir construire des paysages. « Paysages avec figures absentes », écrit en 1964, et paru d'abord sous le titre de « Paysages de Grignan », est un texte qui voit se développer de manière emblématique la recherche d'une écriture du paysage. Composé de trois mouvements, il offre d'abord en guise de préface une courte réflexion sur les enjeux d'une écriture du paysage. Puis nous entrons à proprement parler dans ces paysages dont plusieurs aspects sont déclinés et médités. Enfin, l'écriture se détache de la particularité de tel ou tel paysage pour méditer l'expérience qui plus généralement leur est toujours consubstantielle. À la lecture de ce texte, on découvre que ce qui pour Jaccottet appelle l'écriture du paysage, c'est d'abord l'expérience d'un réel qui se donne immédiatement, de manière presque familière, et qui cependant, et au même moment, se dérobe : « à peine avais-je vu ces paysages, je les ai senti m'attirer comme ce qui se dérobe ». Et l'écriture du paysage sera la tentative d'explorer les liens que l'homme peut tisser avec ce réel dont le caractère paradoxal est de se donner tout en se refusant : « d'une douloureuse rupture, elles faisaient un lien… » L'expérience du paysage pour Jaccottet est l'expérience d'une corrélation entre le visible et l'invisible, ou plutôt, c'est l'expérience de ce bord qui tient lieu de frontière entre le visible et l'invisible, qui, juste aux franges du visible, laisse supposer que quelque chose se tient en réserve et demande à être approché.
[...] Le mouvement de dépouillement du texte est également perceptible au niveau des objets sur quoi il se porte, qui sont toujours plus humbles. D'un petit temple on passe aux petits édifices qu'ont bâti les paysans puis aux simples murets de pierre sèche Et peu à peu la découverte est faite que ce n'est pas même ni l'image du Paradis ni celle de la Grèce qui peuvent servir véritablement de passeport pour l'entrée dans la vérité de ces paysages, mais quelque chose de plus simple, de plus humble et de plus immémorial en même temps : l'Origine, le Fond Mais là encore le texte se reprend : puis écarter aussi ces mots ; et enfin, revenir à l'herbe, aux pierres, à une fumée qui tourne aujourd'hui dans l'air, et demain aura disparu. [...]
[...] La méditation sur le mot de paradis centrale dans le texte, est emblématique de cette manière de procéder. Lors de la contemplation des paysages de Grignan naissent tout à coup dans l'esprit du poète ce mot, paradis qui lui paraît d'abord une traduction parfaitement absurde du sentiment qui lui vient. Mais il n'en reste pas moins que ce mot s'impose à lui, et la tâche poétique, autant que de contemplation du paysage, sera celle de comprendre pourquoi ce mot est venu, d'exploration alors également de la mémoire et de la langue. [...]
[...] Car ces choses, ce paysage, ne se costument jamais ; les images ne doivent pas se substituer aux choses, mais monter comment elles s'ouvrent, et comment nous entrons dedans. Leur tâche est délicate.) Délicat en effet est l'usage d'une puissance de travestissement lorsqu'il s'agit de rendre compte de choses qui ne se costument jamais Mais inévitable également, car sans cela les choses conserveraient leur mutisme, et il serait impossible de garder une trace des signes qu'elles ont fait à celui qui les contemplait. [...]
[...] Ne pouvant se passer de l'image, Jaccottet en propose donc un usage maîtrisé. Ce qui permet cette maîtrise, ce sont certes tous ces moments où le poète affirme n'avoir produit qu'une image et invite donc à la méfiance vis-à-vis d'elle. La maîtrise d'une image qui puisse se convertir en un passeport permettant d'entrer dans un pays et l'explorer, passe alors par ces constants retours sur soi d'une prose qui ne se déclare jamais satisfaite de ce qu'elle énonce, qui privilégie donc l'usage constant du fragment, de la répétition, du ressaisissement et de la correction, ce qui participe d'ailleurs également à la volonté d'humilité chère à Jaccottet. [...]
[...] Images et humilité dans Paysages avec figures absentes de Philippe Jaccottet Lorsque Philippe Jaccottet, après avoir quitté la Suisse, s'installe à Grignan en 1953, il y découvre un séjour où l'appel du paysage l'interpelle avec force. Il ne faudrait pas croire que le paysage de Grignan lui offre la possibilité de retrouver un pays natal, encore moins qu'il y puisse voir les séductions d'un régionalisme quelconque. La découverte que Jaccottet fait loin de son pays natal est celle de la possibilité d'un paysage, c'est- à-dire d'une active vision du monde ; à la rencontre de ces contrées, le poète dépaysé va pouvoir construire des paysages. [...]
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