Les mains croisées sous la tête, il regarde une auréole brune au plafond. Depuis plus de deux heures, il mesure son insomnie au clocher d'une église voisine. Le temps avance et lui recule. Quelque part, il le sait, il est en train de fusiller sa vie en laissant son esprit refuser le sommeil. Demain,... non pas demain... tout à l'heure, il aura besoin de toute sa lucidité, d'un regard aigu, d'une vigilance de tous les instants. Et là, il ne trouve rien d'autre à faire que chercher dans une tâche sombre un signe du destin (...)
[...] Ont-ils remarqué la petite pancarte blanche qui annonce les travaux de rénovation ? Dessus, il y a le mot démolition Ca sonne aux oreilles de Juan Antonio comme une véritable fin. L'arrière-grand-père est bien mort, les temps héroïques sont bien terminés. L'aventure d'aujourd'hui est financière puisque n'importe qui est désormais capable de voler. Bientôt il ne restera plus rien. La geste des chevaliers de l'Aéropostale n'aura pas de nouvel épisode. L'argent est le plus fort. [...]
[...] Si Claudio avait pu accepter de se détacher si souvent de la Terre, il n'y avait aucune raison que lui ne le puisse pas à son tour. Il serre contre lui une petite boite en métal. Les cendres de l'aïeul. Ces cendres qu'il a toujours souhaité voir revenir vers la France, vers cette terre qu'il n'avait plus revue depuis plus de quarante ans lorsqu'il s'était éteint à l'âge de 85 ans dans la banlieue de Buenos Aires. Depuis plus de vingt ans, la boite était là, posée sur un buffet, comme un précieux trophée qui attend de trouver les mains de son vainqueur. [...]
[...] Il a fait de l'aviation un dérivatif à ses échecs artistiques. Il se voyait écrivain ou sculpteur, c'est le manche à balai entre les mains qu'il a fini par gagner sa croûte. Pas sûr qu'à la longue il n'y ait pas d'étincelles entre lui et Daurat mais le patron pouvait-il hésiter un instant à engager ce type qui avait bourlingué dans les airs de Syrie pendant un an et demi ? Mermoz a sa chambre attitrée et les sœurs Marquès lui passent plus volontiers ses incartades qu'aux autres pilotes. [...]
[...] Et comment lui, le Nordiste, aurait-il pu dialoguer avec ces barcelonais qui parlaient un espagnol fortement teinté de catalan ? Heureusement, Jules, son mécano, avait réussi à rapprocher son occitan chantant des phrases incompréhensibles des fonctionnaires espagnols butés. Il avait fallu contacter l'ambassade à Madrid. Visiblement, il y avait dans ce pays des forces contradictoires qui s'opposaient. Quand certains attendaient le progrès, d'autres le regardaient comme une menace. Ils avaient perdu deux jours. Le retour s'était passé sans autre problème qu'une fuite d'huile sur le moteur. [...]
[...] Et puis pendant la guerre, des officiers allemands, des collaborateurs ? La chambre de Mermoz est devenue un sanctuaire, la sienne est restée juste une chambre. A dire vrai, il s'en fiche sauf que, là, sous ses yeux, le temps passé soudain se matérialise. Plus rien n'est pareil et les souvenirs se déchirent. Il n'est plus sûr de rien. N'a-t-il pas embelli ce passé au Grand balcon ? Ne l'a-t-il pas recouvert d'une couche de peinture dorée à force de trop l'évoquer avec les pilotes de la Ligne ? [...]
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