Fiche de lecture et de réflexion sur Droit et passion du droit sous la Ve République, ouvrage du doyen Jean Carbonnier, mettant l'accent sur le phénomène d'inflation législative : ses causes, ses conséquences, les enjeux politiques autour de cette question...
[...] L'expérience est aussi efficace que le droit pour guider les conduites écrit-il. L'idéal, pour une règle de droit, est d'ailleurs d' entrer dans les mœurs c'est à dire d'atteindre une effectivité totale, de se fondre avec la coutume. Cette position reste cependant assez ambiguë : n'est-ce pas, au fond, derrière le concept flou d' expérience à la morale que Jean Carbonnier fait appel ? Ainsi, au concept d'Etat de droit, il oppose par la conception morale de l' Etat grand honnête homme qui prévalait au siècle dernier. [...]
[...] Mais il met également en relief d'autres évolutions du droit sous la 5e République. Ainsi, il dénonce l'idéologie individualiste à la source de la subjectivisation de notre droit : celui-ci s'exprime de plus en plus sous la forme de droits à faisant prévaloir les droits subjectifs sur la finalité sociale des dispositions législatives. Le nouveau paradigme du droit est donc aujourd'hui l'être humain, bien plus que la société ; cette évolution est visible tant par la place majeure conquise par les droits de l'homme dans notre système juridique que par la diffusion de nouvelles manières d'appréhender le droit, ou encore par l'irruption de la psychiatrie dans le procès pénal et la plus grande individualisation des peines recherchée par la justice. [...]
[...] On peut penser que cette humanisation (ou individualisation) du droit concourt à le rendre plus complexe, et alimente donc l'inflation normative. Ce propos doit cependant être nuancé : avec la montée du communautarisme, les destinataires de la loi ne sont, en réalité, pas toujours les individus, mais de plus en plus, les groupes sociaux (en témoignent les lois sur la parité par exemple). Quoi qu'il en soit, ces deux évolutions (subjectivisation du droit et communautarisme), si elles peuvent sembler contradictoires, concourent au même résultat : le déclin de la notion d'intérêt général (et donc de son interprète, la loi). [...]
[...] Ainsi, au niveau constitutionnel, le principe de légalité (et sa version moderne, le principe de normativité) encadre l'action de l'Etat : c'est la notion d'Etat de droit, aujourd'hui prépondérante dans les discours politiques et philosophiques. Mais à l'inverse, de l'inflation législative résulte un risque plus grand d'arbitraire, ou du moins un sentiment d'arbitraire : même si les lois en vertu desquelles les tribunaux condamnent existent, elles sont méconnues par le citoyen Tout ce qui n'est pas défendu est permis, certes ; mais les individus d'en bas ne parviennent pas à deviner tout ce qui est défendu, et c'est ce nuage noir d'où la foudre peut sortir inopinément qui fait planer l'angoisse écrit Carbonnier. [...]
[...] Il met particulièrement en valeur une évolution juridique quantitative : la Ve République se caractérise par sa passion du droit Cette situation risque d'aboutir à un excès de droit : en effet, plus il y a de droit, moins il est appliqué de façon effective, notamment parce que l'inflation législative entraîne la méconnaissance de la loi par le citoyen. On serait tenté d'ajouter que des contraintes exogènes au système juridique concurrent à amplifier cette ineffectivité du droit : encombrements des tribunaux, manque de places en prison Jean Carbonnier soulève un paradoxe inquiétant. L'inflation du droit répond d'un désir de limiter l'arbitraire du pouvoir politique. [...]
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