En 1978, Gerardo Mario Goloboff rédige un ouvrage intitulé "Leer Borges", titre laissant entrevoir une telle complexité dans l'œuvre de ce dernier qu'elle nécessite une sorte de guide de lecture pour espérer en saisir la portée. Nombreux sont les critiques qui taxent l'écrivain argentin d'érudit au style inabordable, à l'écriture trop dense, insaisissable et trop difficile, "Ficciones" ne déroge pas à la règle. Borges ne s'adresserait alors qu'à une part savante de la population, usant d'un style qu'il est le seul à manier, fruit d'un travail abondamment documenté, pour aboutir à des œuvres encyclopédiques aux descriptions exhaustives dignes d'un langage scientifique. Evelyn Fishburn affirme que « Borges has been declarated a cold and cerebral writer », et force est de constater que Jorge Luis Borges n'est pas un auteur anodin et, si la lecture de ses œuvres peut sembler laborieuse, il n'en est pas moins indéniable qu'il est un grand artiste. Cette « maltraitance » faite au lecteur est en réalité résultat de sa volonté. Mais de quels outils use-t-il pour parvenir à ses fins ?
Dans cette œuvre, on voit dès le premier regard sur le titre que la notion de fiction, et donc de réalité, va être sujette à de nombreuses interrogations. On ne peut lire un ouvrage intitulé Ficciones sans tirer d'hâtives conséquences qui se révèleront peut-être erronées. La première nouvelle présente l'auteur lui-même et son ami Adolfo Bioy Casares, autre écrivain argentin comme les protagonistes. Cette impression initiale tendrait ainsi à situer ces écrits dans une logique de réalité que l'on pourrait même considérer comme autobiographique, mais surgissent alors des langues, des planètes, des pays inventés. Ce mélange de traitement entre réel et fictionnel constitue une ambigüité essentielle dans Ficciones. Le lecteur se voit ainsi d'une certaine manière « malmené » par l'écrivain, perdu entre ce qu'on lui révèle et ce qu'on lui cache, et surtout ce qui le force à réfléchir.
[...] Ce procédé que l'on peut interpréter comme un déni de sa filiation avec l'œuvre dont il est le père peut sembler étrange. Devant un ouvrage à succès tel que Ficciones, on pourrait croire que son auteur serait plutôt assez fier d'en revendiquer l'origine ; et Borges fait ici l'inverse. S'il est vrai que la notion d'autorité peut être complexe dans le recueil, on peut aussi remarquer que le rôle joué par Borges dans ses récits reste lui aussi très flou. [...]
[...] On raconte que suite à la parution de la nouvelle, nombreuses sont les personnes ayant tenté de trouver cet ouvrage dans les librairies. L'histoire dans la nouvelle borgésienne nous est racontée d'une manière que l'on pense résumée et inspirée de l'original. Elle s'avère être une invention du seul Borges qui ne s'inspire en aucun cas d'une oeuvre déjà écrite, mais qui nous relate simplement une histoire inventée à la manière d'un résumé. On note alors la mise en abyme, avec un premier récit inventé rapporté dans un second récit, inventé lui aussi. [...]
[...] Dans Ficciones, l'identité en général ne s'avère pas toujours évidente à saisir. Sans prendre en compte l'importance qu'un personnage occupe au sein de l'histoire, il n'est pas rare que son identité reste énigmatique. Très peu de détails sont dévoilés, ceux qui le sont s'avèrent parfois inexacts voire erronés. Dans La forma de la espada deux personnages sont présentés, l'un traître, l'autre victime du premier. Toute l'histoire est présentée comme si elle était transmise par la victime pour s'achever finalement sur la révélation ultime ; c'est le traître qui narre les faits. [...]
[...] Dans plusieurs de ses nouvelles, il s'intègre à son récit. Dans Tlön, Uqbar, Orbis Tertius l'auteur avec ses qualités réelles est inclus dans l'histoire aux côtés de son ami, Adolfo Bioy Casares et tous deux sont les personnages principaux. Dans La forma de la espada nous voyons Borges apparaître à la fin en tant que personnage secondaire à qui l'on se confie. Borges : a usted que es un desconocido, le he hecho esta confesión Cependant, il joue en même temps le rôle de narrateur de la toute dernière partie de l'histoire. [...]
[...] Ainsi, les notions d'autorité des écrits restent ambigües dans Ficciones, et le langage en tant qu'outil essentiel de la littérature sert aussi très largement à égarer le lecteur. Borges, non content d'y consacrer sa vie, fait à plusieurs reprises l'éloge de la langue. Il démontre à travers Funès le caractère inépuisable de celle- ci dès qu'elle devient effective dans le discours. Le nombre infini des combinaisons possibles entre les mots est la démonstration qu'il est impossible de cerner strictement la langue. [...]
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