Dès la fin de la guerre, le sujet du Mal obsède Sartre. Sa réflexion sur le Mal culmine avec Le Diable et le Bon Dieu. C'est d'ailleurs sa pièce préférée dans sa production théâtrale. Elle est le pendant d'une autre pièce Saint Genet, comédien et martyr. Le Diable et le Bon Dieu va servir à Sartre pour démontrer toute la logique du Mal, et sa propre capacité à comprendre la logique des autres. Représentée le 7 juin 1951 elle sera mise en scène par Louis Jouvet et rencontrera un grand succès. C'est cependant une pièce qui va troubler le public : le premier soir, un spectateur qui sifflait dira « Je déteste Sartre, c'est un empoisonneur de la jeunesse française, un criminel, il faut le fusiller comme un e bête malfaisante ». Pour Sartre, cette pièce est une expérience intérieure par laquelle il lève les barrières, il dira « J'ai fait faire à Goetz ce que je ne pouvais pas faire ».
[...] La pièce se clôt en apparence comme elle a commencé : Goetz est redevenu un chef de guerre impitoyable. Le problème : il reste en vie. Chez Sartre, il est rarement bon que les personnages demeurent en vie à l'issue de l'épreuve qu'ils ont subie. C'est le signe qu'ils s'enfoncent les yeux grands ouverts dans l'enfer. Lors d'une conférence de 1946 (l'Existentialisme est un humanisme), Sartre dira L'existentialisme n'est pas tellement un humanisme au sens où il s'épuiserait à démontrer que Dieu n'existe pas [ ] Même si Dieu existait, ça ne changerait rien. [...]
[...] L'œuvre déborde toujours l'autorité de l'auteur. Goetz, pour vivre sa sainteté, a recours au moyen même de sa méchanceté : il triche, s'invente des stigmates christiques. Ses blasphèmes sont fréquents. Il devient un tyran de la bonté. Si Goetz pensait que le Bien avait besoin d'une part négative pour se réaliser, il se rend compte que le Bien n'existe pas. Il a tendu toutes ses forces vers une entité vide, sans réalisation possible. Le Bien comme le Mal est irreprésentable, Goetz se trouve toujours face à une réalité sordide, sans joie. [...]
[...] Le théâtre de Sartre n'est pas un théâtre à thèse. Il ne cherche pas à démontrer, mais à expérimenter. Sa théorie sur la liberté notamment est indépendante de sa pratique, il s'agit donc d'une vraie fiction. Le lecteur sort déstabilisé de cette œuvre où la pratique du Mal est chaotique et où le Mal est fascinant et difficile à différencier du Bien parfois. Le contexte est celui d'une Allemagne apocalyptique dans laquelle Goetz tient le rôle du personnage principal incarnation du Mal absolu. [...]
[...] Autrement dit, le diable n'est pas révolutionnaire, mais seul le Dieu du peuple l'est. Enfin, Heinrich trouve sans le vouloir le levier : il va montrer à Goetz que le Bien est plus beau que le Mal, car plus rare, plus contestataire et plus libre. Ce qui va séduire Goetz est que le Bien est finalement pire que le Mal, car le Bien est impossible. Le mal est facile, donc sans prestige et banal. Goetz est aspiré par le Bien et croit naïvement qu'ainsi il sera le seul héros du Mal, car il le fait gratuitement. [...]
[...] Le Bien devient pour lui une autre façon de trahir. En donnant ses terres, il se trahit lui-même, se désobéit à lui-même : le saint torture le méchant qui est en lui. Le Bien lui devient plus pénible que le Mal. C'est ici l'art du paradoxe que mène Sartre : Le saint usant de la médiation divine prétend qu'un non poussé à l'extrême se transforme en oui (Saint Genet, comédien et martyr). Une lecture existentialiste de l'œuvre serait trop limitative. [...]
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