La peinture des vanités prend une importance considérable dans la littérature à partir du XVIe et XVIIe siècle, empreinte de tonalités religieuses, elle devient le reflet de la vacuité des comportements humains.
La méditation sur la mort prochaine, la réflexion sur la fragilité des hommes, sur la caducité des possessions humaines, sur la vacuité du langage, le désir de gloire et de reconnaissance sont omniprésents dans les Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand. Monument littéraire, historique et mortuaire dans lequel Chateaubriand exalte sa gloire passée et déplore la vanité de toute chose, les Mémoires d'outre-tombe, publiées en 1848 se présentent comme l'ouvrage d'une vanité humaine.
En effet Chateaubriand témoigne de la vanité d'un homme du monde qui retrace sa carrière littéraire et politique pour laisser son nom à la postérité, mais également de la vanité d'un monde où la mémoire a ses oublis, où la mort fait disparaître les êtres, où les monuments se changent en ruine, où l'histoire montre son revers. L'auteur inscrit son œuvre entre la vie et la mort, entre l'actualisation de souvenirs passés et l'écho d'une voix d'outre-tombe, les Mémoires évoluent dans cet entre-deux permanent, un va-et-vient constant entre le passé et le présent qui contribue à l'édification d'une architecture.
Ainsi pour étudier les deux vanités de Chateaubriand dans les Mémoires d'outre-tombe, il serait intéressant de s'interroger sur le paradoxe que posent les Mémoires, entre un trop plein de fierté qui se traduit par la recherche incessante de reconnaissance et de l'autre ce vide conféré par le spectre de la mort qui hante l'œuvre de Chateaubriand.
[...] L'écriture du moi dans les Mémoires s'inscrit donc dans une perspective de glorification, elle témoigne de l'orgueil d'un homme du monde qui se traduit par un certain mépris pour le genre humain au travers du rejet de la notion de honte comme il le souligne à la page 232 il n'y a point de supplice que je n'eusse préféré à l'horreur d'avoir à rougir devant une créature vivante Ce sentiment de supériorité naît de la confrontation avec les autres je sentis confusément que j'étais supérieur à ce que j'avais aperçu l'orgueil de l'auteur se dissimule sous un ton de fausse modestie avec l'emploi de l'adverbe confusément qui tente d'atténuer le caractère extraordinaire de l'auteur. Nous retrouvons le même procédé quand il affirme si j'avais fait ce que font les autres hommes, mais tout prenait en moi un caractère extraordinaire L'adversatif mais crée une rupture artificielle dans la phrase et renvoie au procédé de fausse modestie souvent employé par l'auteur. Nous atteignons le paroxysme de l'orgueil dans l'écriture au travers de la fictionnalisation du moi. Chateaubriand s'incarne dans de grandes figures historiques ce qui permet d'inscrire son expérience individuelle dans le cours de l'Histoire. [...]
[...] Dans cette obsession de la mort, une figure émerge, celle de l'auteur qui évolue entre deux mondes la vie et la mort et qui avoue sa prédilection pour le dernier. Chateaubriand dans ses Mémoires apparaît à plusieurs reprises sous les traits d'un mort vivant, il évolue dans cet entre-deux, pas tout à fait vivant pas tout à fait mort comme nous pouvons le voir dès le Livre I quand il nous livre l'épisode de sa naissance : j'étais presque mort quand je vins au jour ou encore A peine étais je né, que j'ouïs parler de mourir Dès l'ouverture des Mémoires nous assistons à une mort quasi prématurée, à une naissance amputée que tout au long de l'œuvre l'auteur cherchera à se réapproprier comme nous pouvons le voir au travers de la tournure active je vins au jour Cette représentation fantasmagorique de la naissance comme mort nous donne une anticipation fulgurante du livre et nous renvoie directement à la fin des Mémoires quand il écrit Il ne me reste plus qu'à m'asseoir au bord de ma fosse Le lecteur assiste tout au long de l'œuvre à une descente dans la tombe, une véritable procession mortuaire notamment dans le chapitre Tentation avec la description d'un paysage mortuaire où émerge le son des cloches qui nous évoque une cérémonie d'enterrement. [...]
[...] Tout au long de l'œuvre, nous rencontrons de nombreuses références à des figures illustres comme par exemple dès le livre I au travers l'énumération de sa généalogie qui permet d'inscrire l'auteur dans une lignée prestigieuse et donc de conférer à son entreprise une certaine légitimité. De plus son œuvre prend un caractère unique quand il affirme je suis comme le dernier témoin des mœurs féodales Les Mémoires devient un témoignage monumental d'une période historique comme par exemple la prise de Thionville à laquelle sont consacrés six chapitres au livre IX. [...]
[...] Les Mémoires multiplient donc les faces à faces avec la mort, pour dépasser sa finitude et ainsi se protéger de l'oubli, la volonté d'ériger un monument trouve ici une nouvelle justification, elle n'est pas seulement l'expression de son orgueil mais également un moyen de dépasser le caractère mortel de l'homme, ainsi comme le souligne Riffaterre D'un côté le monument est vestige ou ruine [ ] d'un autre, il conserve et transmet le message [ ] Le monument représente à la fois la mort et la victoire sur la mort Au-delà de cette lutte, les Mémoires multiplient les mémento mori qui expriment la caducité de toutes choses, de toutes entreprises humaines qui se traduisent dans l'expression de l'angoisse du temps qui pèse sur Chateaubriand. La mort dans les Mémoires entreprend donc son processus de déconstruction et d'anéantissement de l'œuvre humaine. [...]
[...] Le topos de la ruine frappe donc tous les domaines des Mémoires, les monuments, les entreprises humaines, les lieux et les hommes eux-mêmes. Le fantôme de la mort hante l'œuvre de Chateaubriand pour rappeler aux hommes leur caractère mortel Toute notre vie se passe à errer autour de notre tombe ; nos diverses maladies sont des souffles qui nous approchent plus ou moins du port Les mémoires se transforment en une poésie funèbre ainsi que nous pouvons le voir dans les constructions phrastiques rythmées par le retour de ne plus ou ne jamais qui témoigne d'un passé irrémédiablement perdu, d'un présent voué à la disparition et d'un futur soumis à caution. [...]
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