Le problème est délicat, car la question religieuse est mêlée à d'autres questions. Décider dans un sens ou dans l'autre est rendu difficile par cette imbrication. En effet, la question religieuse est mêlée à d'autres conflits : le conflit familial tout d'abord, qui fait que la revendication de liberté hors du couvent se mêle au désir de sortir de l'oppression de la famille et de la société, le couvent prolongeant l'oppression familiale ; le conflit que posent la liberté individuelle et le statut de la femme ensuite : sur ce point, qu'est-ce qui est critique du couvent et qu'est-ce qui est critique de la société ?
D'où le problème suivant : dans quelle mesure cette fable de la liberté est-elle une revendication de liberté par rapport à la religion ?
[...] Or Suzanne a le même directeur de conscience que sa mère, d'où la possibilité d'une manipulation double. Le roman met en outre en scène toute une série de tactiques de séduction, par exemple les tactiques artificieuses de la supérieure de Sainte-Marie, laquelle laisse passer la colère, le chagrin de Suzanne, lui parle avec douceur, et petit à petit développe des manœuvres qui la livrent à l'état religieux. Elle a une tristesse étudiée, une fausse douceur qui n'est pas sans rappeler Tartuffe. [...]
[...] May affirme qu'on ne saurait aller aussi loin, et que La Religieuse est une sorte de roman chrétien à sa façon. Il constate que le roman n'a pas été mis à l'index (alors que Jacques le fataliste l'a été). Mais la mise à l'index n'est pas un argument déterminant, dans la mesure où certains textes ont échappé à la censure religieuse, surtout à la période concernée par ce roman (proche de la Révolution). De leur côté, R. Pomeau et R. [...]
[...] Cependant, elle séduit, elle trompe, en faisant jouer une sorte de psychologie de la foi religieuse : comme elle l'expose à Suzanne, la religion est consolatrice et donne des plaisirs de compensation. Suzanne se présente elle-même comme chrétienne. Pourquoi ? Elle y a intérêt dans la stratégie de séduction dirigée vers le marquis de Croismare, mais plus profondément il y a une vraie sincérité religieuse chez Suzanne. Non seulement elle accomplit ses devoirs religieux, mais elle les accomplit avec émotion et intensité. [...]
[...] Dès lors, l'analyse de la religion en tant que telle est possible, au-delà des particularités de tel ou tel groupe. Déshumanisation de la religion La mère de Suzanne, par peur, procède à une sorte de rattrapage confessionnel en mettant sa fille au couvent pour que la mère expiât la faute par l'enfant La religion, c'est d'abord la défense du patrimoine familial, ce qui entraîne une sorte de confusion des deux conflits (individu par rapport à la famille / sujet par rapport à la religion), mais fait aussi de la religion une des conditions d'une société injuste. [...]
[...] Conclusion Il ne faut pas lire La Religieuse comme une œuvre antichrétienne, mais plutôt comme une satire de la vie de couvent, dont les excès rendent la lecture jubilatoire. Diderot met à jour tous les comportements pathogènes et névrotiques déclenchés ou amplifiés par la vie en univers clos, vie contre nature, mais surtout ce que le philosophe des Lumières remet sérieusement en cause, c'est le conformisme d'une société dont l'Eglise se fait l'obscurantiste complice : complice d'intérêts familiaux mesquins, complice de l'hypocrisie. [...]
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