Rupert Brooke commence ses études à King's College, Cambridge, en octobre 1906. Les influences politiques qu'il a subies à Rugby, sa ville natale, sont clairement libérales. Mais il opère sitôt après son arrivée à Cambridge un net glissement à gauche. Il devient un socialiste convaincu, adhère à la société des Fabiens dont il est élu président pour l'année 1909-1910. Les réunions se tiennent parfois dans ses pièces à King's, dans Gibb's Buildings, à l'angle sud-ouest de la première cour de King's, où les Fabiens se satisfont d'un repas frugal composé de pain, de fromage et de bière. Au cours de ces rencontres, Rupert Brooke défend sans relâche, comme un leitmotiv, l'importance des poètes et des artistes dans la société idéale que ses amis et lui envisagent pour l'avenir. Le document qu'on va lire est tiré des notes que Rupert Brooke prit pour une conférence qu'il donna dans ce cadre, probablement au cours du printemps ou de l'été 1910. A cette époque, Brooke se prenait sérieusement pour un poète depuis six ou sept ans, et son premier volume de poèmes allait paraître l'année suivante, en 1911. Mais, comme l'écrit Geoffrey Keynes dans sa préface à l'édition anglaise de « Democracy and the Arts » en 1946 , « dans les premiers mois de 1910 une dotation des artistes par un gouvernement socialiste a dû apparaître comme une idée utopique très lointaine, assez importante tandis que nous concentrions notre attention sur la personnalité éclatante de notre président, mais vite oubliée à la fin de la discussion du soir avec la disparition du fromage, du pain et de la bière. »
[...] Un bon nombre de gens et surtout des démocrates diront qu'il a déjà été répondu à la question de l'Art et des Artiste, indiquant William Morris et le mouvement Arts and Crafts. C'est très dangereux. Il existe plusieurs risques liés à ce genre de chose. Aucune réponse à la question des Artistes n'est venue de telles sources ; ni même une prise de conscience de la question. Je veux désavouer presque entièrement ce que Mr. H.G. Wells a jadis appelé le Socialisme Hampstead-and-Hammered-Copper[4] (c'était avant qu'il n'aille vivre à Hamsptead). D'une part, il faut séparer les questions d'Art et d'Artisanat. [...]
[...] Henry James y arrive maintenant, sans doute, à soixante ans. Il ne pourrait pas s'il avait trente ans. Alors que nous devenons de plus en plus démocratiques et qu'un plus grand nombre de gens doivent travailler pour gagner leur vie, que devenons-nous faire si le travail le plus noble de tous ne permet pas de vivre ? Fabriquer un grand artiste créatif est au-delà du pouvoir d'un eugéniste ou d'un maître d'école. Tout ce que nous pouvons espérer faire est de les repérer quand ils surviennent, et de leur permettre d'atteindre leur génie. [...]
[...] Hall Caine en ont choisi une, la meilleure. Rimbaud, qui est parti à l'Est et dont on a entendu parler pour la dernière fois alors qu'il conduisait une caravane en Arabie[10], une autre. Chatterton une troisième.) Le seul espoir du peintre est de peindre les portraits de personnalités extrêmement riches et extrêmement médiocres. Il n'est pas toujours possible, ni toujours intéressant pour lui de prendre la revanche que Sargent prend parfois. À l'avenir, peut-être verrons-nous nos grands peintres peindre les grands, pas les riches. [...]
[...] Il est impossible de savoir ce que Milton et Marvell nous auraient donné s'ils avaient eu assez d'argent pour vivre. Quoi qu'il en soit, la perte est énorme. Si Dryden et Addison n'avaient pas dû se vendre à la politique, notre littérature n'aurait pu qu'y gagner. Il y a seulement quelques cas et quelques domaines de la littérature dans lesquels les écrivains ont pu gagner leur vie. Cela reste vrai même dernièrement et avec les plus populaires. Tennyson n'a pas gagné assez pour vivre avant d'atteindre l'âge mûr. Il dut reporter son mariage de onze ans. [...]
[...] Arts et démocratie ! Ce papier, comme tout bon papier, vient de passer sa première moitié à expliquer ce dont il va traiter. Comme tout bon papier, il ferait bien de consacrer l'essentiel de sa seconde moitié à dire pourquoi il en traite. En partie parce que, comme je l'ai dit, nous sommes sur le point d'éliminer les artistes en détruisant les systèmes qui leur permettent de vivre. Seuls les plus fanatiques et les plus immédiatement populaires pourraient survivre en aucun cas les meilleurs types. [...]
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