« Critique et clinique » (1993), de Gilles Deleuze, est composé de XVII chapitres qui s'organisent autour d'idées clés présentées de façon condensée (souvent elliptique et allusive) dans l'avant-propos et le premier chapitre. L'une de ces questions porte sur la syntaxe : comment, à partir d'elle, un auteur parvient-il à faire entendre et voir des éléments non linguistiques et non langagiers ? Que sont ces éléments dont parle Deleuze : « Visions » et « Auditions » ? Avant d'y répondre, on peut d'abord remarquer que si la syntaxe permet de les produire, ils ne sont pas verbaux. Une frontière perméable s'établit entre elle et son horizon (eux), c'est-à-dire ce qui, tout en la dépassant, lui est toujours originellement liée (ils ne naissent pas sans elle). De quoi naissent-ils, justement ?
[...] L'Idée que je m'en fais. Ces propriétés se réduisent donc dans un étant. Or, l'existence, c'est ce qui fédère les étants grâce à un délire historico-mondial (c'est-à-dire qu'il concerne tout le monde : toutes les choses) qui, ne les distinguant plus, par la zone qu'il ouvre, leur permet de se découvrir dans le fait qu'ils sont, qu'ils existent. L'existence (ou la vie pour reprendre le terme de Deleuze) surgit ainsi dans les choses, au moyen du délire. Son corps endormi est réveillé. [...]
[...] Le charme constitue le dehors de la personne sans laquelle il n'existerait pourtant pas. C'est ce qu'exprime Tournier lorsque, dans Le Vol du vampire (notes de lecture), il répertorie les trucs procédés, recettes qui permettent à Gary (ou Ajar) de créer une nouvelle langue, tout en nous avertissant qu'il ne suffit pas d'utiliser ces trucs pour faire du Ajar Les procédés ne permettent pas de susciter toujours le même effet. La reproduction de mêmes procédés (mais le sont-ils vraiment, insérés dans un autre contexte, d'autres conditions est insuffisante, sinon n'importe quel sonnet vaudrait ceux de Baudelaire. [...]
[...] Quand le procédé est facilement étiquetable, il relève du domaine médical ou, du moins, car son statut médical est discuté, psychanalytique. Alors, les mots ne révèlent plus que ce dont souffre celui qui les utilise. Ils deviennent symptomatiques d'un état clinique-maladif. Au contraire, le délire littéraire échappe à cette maladie. Mais la frontière est mince. Il s'en faut toujours de peu pour être défini et ramené à un cas psychanalytique. L'enjeu est de taille, car lorsque la langue délirante est définie, elle ne révèle qu'une pathologie. [...]
[...] Mais quels qu'ils soient, ils ne valent que par l'écart qu'ils introduisent et qui favorise l'avènement d'une zone ou atmosphère. A l'inverse fonctionne le délire clinique. En effet, il révèle les propriétés d'une personne qui l'utilise, c'est-à- dire qu'on peut dire d'elle (cet étant) qu'elle est névrosée, folle, dérangée, etc. de même qu'on dirait, par exemple, d'une fleur (autre étant, autre manifestation du vivant, de l'existence, de l'être) qu'elle est verte, ou rouge, ou grande. L'autre délire (littéraire) conduit à l'être. C'est qu'il ne révèle pas une propriété d'un étant (une femme, un homme, un animal, etc. [...]
[...] On ne considère une montre que parce qu'elle donne l'heure. Certes, nous l'utilisons, mais pourquoi se perdrait-elle automatiquement dans sa fonction utilitaire ? Nous pouvons, à un moment, la Voir). Il y a donc plusieurs délires, qui ne sont pas toujours propres à la syntaxe. On peut d'ailleurs scinder le délire syntaxique lui-même en deux. Le premier est celui que décrit le plus souvent Deleuze : il est nerveux et facilement repérable. Il est fait d'un rythme haletant, d'incises, de parenthèses. [...]
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