Le 16 août 1870, un jeune noble fut supplicié par des villageois réunis sur le foirail de Hautefaye, en Dordogne. Les contemporains furent frappés par l'histoire de ces 'cannibales' dont plusieurs furent condamnés à la guillotine. Mais ce qui frappe l'historien, plutôt que l'atrocité du crime, c'est cette condamnation unanime et horrifiée, cette soudaine singularité d'un crime qui quelques décennies auparavant n'aurait ni surpris ni choqué à ce point. Un décalage se révèle ainsi entre la logique des meurtriers et celle de leurs contemporains. C'est pourquoi l'enquête d'Alain Corbin ne se limite pas aux seuls faits, mais tente de débrouiller un jeu complexe de représentations sociales, dont l'évolution seule permet de comprendre à la fois le crime et le châtiment. Les criminels étaient-ils réellement des sauvages ? Mais surtout pourquoi sont-ils passés pour des 'cannibales' ?
[...] Cependant, son analyse ne rapporte à proprement parler que des on dit sur la rumeur de ce 16 août en particulier, et dénote un manque de sources directes. Or si l'historien d'aujourd'hui manque d'information sur les rumeurs, c'est sans doute parce que les historiens et les chroniqueurs d'hier n'y ont pas trouvé le même intérêt, et que les contemporains se sont surtout attachés à disqualifier les bruits populaires au profit des discours autorisés. Il ne s'agit pas seulement d'une démarche rationaliste, centrée sur la recherche de sources tangibles d'informations et encore indifférente à l'évolution historique des mentalités et des fantasmes collectifs, comme à leurs conséquences sur le cours même des événements. [...]
[...] Alain Corbin présente son ouvrage historique comme on présente une histoire qu'on s'apprête à raconter. Dans son prélude il n'est pas question du terrain de recherche ou de la méthodologie employée, mais du récit condensé des événements qu'il se propose d'expliquer. Par ailleurs, les articles et les travaux auxquels il se réfère ne font pas l'objet d'une bibliographie mais de notes de renvoi à la fin de l'ouvrage, ce qui ne les empêche pas d'être nombreux mais révèle un choix particulier de la part de l'auteur. [...]
[...] Au contraire, la dimension narrative de l'ouvrage permet de toucher un public large tout en lui fournissant matière à réflexion. L'historien parvient ainsi non seulement à accroître le champ des connaissances dans le domaine, mais surtout à susciter chez son lecteur un ensemble d'interrogations qui n'ont rien perdu de leur pertinence à l'heure actuelle. Ainsi, un entrefilet de L'Est Républicain, daté du 8 janvier dernier, signale un fait divers qui n'est pas sans présenter quelque ressemblance avec celui que dissèque Alain Corbin : Au Bénin, un conducteur de taxi-moto a été interpellé par la police après avoir traîné derrière son engin sur plusieurs kilomètres et sous escorte de plusieurs dizaines d'autres conducteurs de taxi-motos une présumée voleuse de sexe préalablement lynchée et brûlée par la population. [...]
[...] Pour Alain Corbin c'est par le massacre que se réalise pleinement la métamorphose du jeune noble Alain de Monéys en une incarnation des figures du complot. L'atmosphère d'angoisse et de rumeur s'avère donc un élément essentiel de l'analyse. D'autre part, le drame se déroule à un moment de l'année où s'imbriquent deux temporalités festives, celle de la foire (du 14 au 16 août) et celle de la fête nationale du 15 août. Or cette fête nationale est plus largement interprétée par le population rurale comme le symbole de son émancipation des patronages et de l'unité nationale reconstituée sous l'égide de Napoléon III. [...]
[...] C'est pourquoi l'enquête d'Alain Corbin ne se limite pas aux seuls faits, mais tente de débrouiller un jeu complexe de représentations sociales, dont l'évolution seule permet de comprendre à la fois le crime et le châtiment. Les criminels étaient-ils réellement des sauvages ? Mais surtout pourquoi sont-ils passés pour des cannibales ? Les deux questions que se pose l'historien permettent de mettre en relief le rôle des imaginaires en politique, tout en interrogeant sur le fameux processus de civilisation des mœurs décrit par Norbert Elias. L'ouvrage nous présente donc les éléments du drame et explore sa logique. [...]
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