Après avoir délimité son objet d'étude à la période qui s'étend du XVIIe à la seconde moitié du XVIIIe, et être revenu sur les différents travaux existant sur le sujet (Propp, Marina Warner, Raymonde Robert), Jean-Paul Sermain définit sa problématique ainsi : il veut « saisir l'unité poétique des contes de fées pendant plusieurs générations, ses propriétés littéraires, ses effets, ses significations morales et esthétiques ».
Il cherche donc dans un premier temps à restituer les ambitions des conteurs, c'est-à-dire leur positionnement dans les débats littéraires de l'époque, ce qui implique un effort de contextualisation. Puis il tente de décrire la figure du lecteur appelée par les caractéristiques des textes : le conte, en tant que dispositif ingénieux, met en place des modes d'interaction avec son lecteur, que celui-ci se doit de déchiffrer. Enfin, Jean-Paul Sermain s'attache à définir la poétique du conte en tant qu'il est une fiction régie par les pouvoirs de l'imaginaire.
[...] Rappelons qu'avant lui, La Fontaine lui-même avait insisté sur Le Pouvoir des Fables (1678), qui avaient pour fonction de distraire et d'instruire. Le conte de fées a cette même visée critique : il donne en fait une version amusée, caricaturale de ce qui a suscité la superstition[3] et crée par là même une distance critique vis-à-vis de cette dernière. Ce rapport particulier du conte de fées français à la superstition est théorisé en 1712 par l'anglais Addison chez qui l'imagination prend une valeur positive : la composition enchantée (traduction approximative de the fairy way of writing provoque une horreur agréable a pleasing kind of horrour c'est-à-dire un frisson de plaisir. [...]
[...] Le conteur peut choisir de détourner les règles narratives du genre (effets de retardement, titre à valeur de programme, ou encore de confier le récit à l'un des personnages. C'est le cas des Mille et une Nuits qui se présente dès lors comme un atelier de fabrication de l'histoire Par cette mise en abyme, le conte assigne à l'imagination un rôle particulier. L'imaginaire mis en œuvre dans les contes crée en effet un espace commun qui relie les hommes et désamorce les conflits éventuels d'une discussion ordinaire. [...]
[...] L'invention ne passe plus par l'appropriation d'une tradition antique mais par la quête du nouveau et de l'inédit. Cette conception inédite de l'imitation chère au classicisme tient chez les conteurs à l'imprécision de leurs sources souvent orales et populaires. Dès lors, le conte de fées permet une rupture des Modernes avec leur passé et donne lieu à une nouvelle conception de l'Histoire. Le conte est l'évocation d'une conscience collective et d'un univers familial mais aussi des moyens de l'inculquer aux enfants. [...]
[...] Dans Cendrillon, le merveilleux qui apparaît sous les traits d'une fée est la réponse au dénuement et au désespoir de l'héroïne. La fin du Petit Poucet, qui se termine à la Cour, relativise les terreurs de l'enfance (ici celle d'être rejeté par ses parents). Le conte est donc chargé de transformer ce qui fait l'objet d'une superstition, mais sur un mode qui implique moquerie et ironie. Le conte possède donc au moins deux niveaux de lecture : il se présente comme une histoire pour enfants mais génère une interprétation symbolique en même temps qu'une réflexion sur le langage, et en particulier le langage romanesque. [...]
[...] Pour autant, il est à noter que tous les contes ne dégagent pas une morale aussi explicite. Nombre d'entre eux, tels Le Petit Chaperon Rouge, développent une morale hautement équivoque en ne distinguant guère les bons des méchants. En effet, deux modes d'expression de la morale se concurrencent dans les contes. Si le premier se présente sous la forme explicite d'une citation ou d'un adage, et est en tout cas un ingrédient essentiel du conte, le second mode participe quant à lui de la dérision même de la morale qu'elle invoque : les leçons que d'Aulnoy place dans la bouche de ses fées ne sonnent guère justes elles apparaissent même quelquefois en contradiction avec le conte (notamment dans Babiole). [...]
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