La pièce de Beckett, Fin de partie, fonctionne comme un inquiétant huis clos : quatre personnages tous impotents ou invalides sont mis en scène dans une atmosphère de déréliction et semblent ne plus rien attendre que la mort, la fin de la représentation. Après avoir assisté à la comédie d'amour des ses parents, culs-de-jatte vivant dans des poubelles, ainsi qu'à la mort imperceptible de sa mère, le personnage central (dans les différents sens du terme) à savoir Hamm demeure seul avec son valet, Clov. C'est à leur échange que nous assistons dans cette scène circonscrite par la même didascalie indiquant la position de Clov sur la scène.
[...] La récurrence des mêmes mots, telle que la reprise dans les réponses du dernier mot de la question, fait penser à une récitation où le locuteur s'appuie sur des mots-clés pour apprendre son texte par cœur. De plus, les personnages insistent sur le jeu des intonations alternant une façon de parler avec violence et une voix normale parfois dans la même phrase, comme nous l'avons vu. Nous assistons à une vraie parodie du récitant de théâtre qui se donne des airs et module sa voix d'une manière technique, révélant la facticité du dialogue : Clov Il fait gris ( plus fort) Gris ! (Un temps. Encore plus fort) GRRIS ! [...]
[...] Et au final, la vraie mort est visuelle : c'est la fin de la représentation, le baisser de rideau ou la plongée dans le noir qui ouvre la possibilité d'une fin. La représentation constitue le vrai espace de vie. Celle-ci se met en place comme une vision instantanée, un tableau qui s'anime devant nous pour quelque temps avant de retourner au néant : pas d'allusion au passé des personnages ni à une quelconque issue après le baisser du rideau. Une allumette que l'on fait craquer dans l'obscurité puis qui s'éteint. [...]
[...] En d'autres termes, aucun contexte ne permet d'identifier l'époque de création de la pièce et fort à parier que dans quelques décennies, voire davantage, il existera encore des océans, des continents ainsi que des endroits clos En outre, la clôture de l'espace et celle du temps impliquent une inévitable circularité. La scène se présente comme une simple variation sur le même thème, les personnages reprenant leurs places initiales une fois leur partie jouée. La preuve de ce retour aux mêmes positions est la didascalie identique qui inaugure et clôt la scène : Clov retourne à sa place à côté du fauteuil La progression est explicitement évitée et privilège est donné à l'inertie. [...]
[...] Pour aller plus loin, la scène ressemble fort à une mise en abyme d'un spectacle de marionnettes où les acteurs-pantins reviendraient à leur place originelle après avoir été manipulés, exécuteraient des actes simples et clairement explicités dans les répliques j'apporte l'escabeau et, poupées de chiffons, seraient inaptes à exprimer un sentiment par le geste ou le verbe. En résumé, comme il a pu le faire en nous suggérant d'étudier les mécanismes du dialogue, Beckett pourrait nous inviter également à observer les ficelles, plus ou moins grosses, qui font fonctionner le théâtre (et l'illusion théâtrale) et donnerait un autre sens au titre de la pièce : Fin de partie ou la déstructuration du théâtre classique et de l'illusion afin de mieux l'éradiquer, de faire disparaître la représentation. Soit la fin d'une partie, du jeu. [...]
[...] Comme nous venons de le montrer, dans cet extrait, les personnages ne font que neutraliser le dialogue, anéantir l'action, revenir au même point. En bref, la scène est contaminée par l'inertie et le gris matérialise cette atmosphère sans couleur et sans mouvement. Pourtant, une précision sur la couleur est donnée par Clov, celle-ci est noir clair En d'autres termes, il ne s'agit pas d'un gris simplement symbole de neutralité, de non couleur comme nous avions pu l'envisager en premier lieu, mais d'une nuance de noir, la teinte par excellence du néant et de la mort. [...]
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