Le texte que nous allons étudier est extrait du premier chapitre du roman Le Père Goriot, écrit en 1834 par Honoré de Balzac dans la continuité de sa grande œuvre réaliste, La Comédie Humaine. Il est ici important de noter que nous sommes toujours au cœur d'un incipit particulièrement long, répondant aux fonctions codifiantes de la présentation des personnages. En effet, le père Goriot en tant que principal sujet, fait l'objet d'une description approfondie débutée une dizaine de pages auparavant pour s'achever sur ce passage dont l'intérêt réside en ce qu'il montre l'aboutissement d'un homme au terme de quatre années de vie sous le regard des pensionnaires de la maison Vauquer.
La question se pose alors de savoir comment Balzac va répondre aux exigences du genre en érigeant le portrait du personnage clé de son œuvre.
[...] Le contrat moral du pacte de lecture est donc respecté dans les moindres détails. Cependant, cette présentation du père Goriot, logiquement attendu comme héros du roman à cause de sa référence directe au titre de l'œuvre, pose de manière légitime une question fondamentale puisqu'il apparaît ici en tant que victime impuissante. En effet, déjà présenté comme un martyr en proie à un drame intérieur évoqué par la douleur de sa paternité, nous sommes alors en droit de nous demander s'il va bel et bien être le véritable actant de ce roman. [...]
[...] Enfin, le complément circonstanciel de temps un soir qui introduit le dialogue, fige dans le présent l'état psychologique du père Goriot autant par le choix du moment où se déroule la scène que par les qualificatifs utilisés pour sa description. Ainsi, le décor sombre de la nuit se mêle au désespoir des sentiments d'un être devenu un vieillard C'est enfin l'impression d'inéluctabilité et d'impuissance qui se dégage de cette description dont les détails minutieux laissent cependant un parfum de mystère quant à l'explication du drame qui se déroule sous les yeux du lecteur. [...]
[...] Le rythme ainsi donné renforce de manière notable cette impression de vie qui émane du langage oral et vient réveiller le lecteur à la manière du personnage qui tressaillit Par ailleurs, un nouveau gage de certitude est également présent par le biais de la multitude des regards qui pèsent sur le personnage. Le premier témoin, en la personne de Madame Vauquer, est à lui seul une référence importante dans la mesure où elle est son hôtesse La marque du pronom possessif ainsi associée à la précision de durée, quatrième année de son établissement rue Neuve-Sainte-Geneviève indique clairement la fiabilité d'un jugement émis à la suite d'une relation de proximité établie dans le temps. [...]
[...] Quand son trousseau fut usé, il acheta du calicot à quatorze sous l'aune pour remplacer son beau linge. Ses diamants, sa tabatière d'or, sa chaîne, ses bijoux, disparurent un à un. Il avait quitté l'habit bleu barbeau, tout son costume cossu, pour porter, été comme hiver, une redingote de drap marron grossier, un gilet en poil de chèvre, et un pantalon gris en cuir de laine. Il devint progressivement maigre ; ses mollets tombèrent ; sa figure, bouffie par le contentement d'un bonheur bourgeois, se vida démesurément ; son front se plissa, sa mâchoire se dessina. [...]
[...] Moment très attendu de l'incipit par sa référence au titre même du roman, la description du père Goriot a d'abord été intégrée au cœur d'un récit informant le lecteur sur le passé récent du personnage pour lui livrer ici un portrait actuel et complet. Dès le départ, le sujet est dépeint par ses caractéristiques physiques à travers une profusion de détails découpée en plusieurs étapes. En premier lieu se dégage une image importante, celle de son visage, qui frappe tout d'abord la vue et à laquelle madame Vauquer sera d'ailleurs sensible au point de lui faire perdre le sens des conventions verbales puisqu'elle laissa échapper une expression de surprise Ainsi, la couleur de ses cheveux est qualifiée par les adjectifs gris sale et verdâtre dégoûtante et sa physionomie de désolée Une gradation descriptive s'attache ensuite à détailler son corps à travers une progression temporelle. [...]
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