Garcia Marquez et Chamoiseau ont conçu des personnages qui, sans être totalement opaques, conservent une dimension parfois assez obscure. Leur identité morcelée et, dans certains cas, sciemment dissimulée peut interpeller les lecteurs les plus curieux.
En mettant en scène des personnages ambigus, qui restent à la périphérie entre le connu et le secret, nos deux auteurs choisissent d'illustrer ce que sont les méandres de l'identité. Ces personnages ont une unité mais ne délivrent pas tout de suite toutes leurs dimensions. Ils ne sont pas forcément inaccessibles mais entretiennent une part de mystère, souvent par jeu, parfois par intérêt. D'autres sont liés, parfois malgré eux, à ces histoires dont ils ne mesurent pas la profondeur de l'abîme. L'identité n'apparaît pas comme un dû mais comme étant, au contraire, une chose qui se gagne, qui s'explique et qui s'apprivoise.
Tous les personnages n'ont pas la même importance dans un roman. Alors que les lecteurs n'ignorent aucun détail de la vie de certains d'entre eux, comme Isabelle dans Des feuilles dans la bourrasque ou Pipi dans Chronique des sept misères, d'autres restent mystérieux, ce qui ne veut pas pour autant dire qu'ils apparaissent dans les oeuvres en tant que simples personnages secondaires. En effet, certains personnages, peuvent être amenées à cacher des informations importantes concernant, la plupart du temps, leur passé, c'est-à-dire ce qu'ils ont vécu, vu et connu avant qu'ils rejoignent leur nouvelle communauté. Contrairement à la majorité de ceux au milieu desquels ils évoluent, leurs racines sont ailleurs et aucun témoin ne peut raconter la moindre anecdote sur leur existence. Ce statut bien particulier offre une certaine liberté à ces personnages. Loin de se préoccuper de correspondre à ce qu'ils sont vraiment, ils peuvent s'inventer une autre vie, une autre identité, ou plus simplement, choisir de ne révéler qu'une partie infime de leur passé.
[...] Le rapport à l'espace de l'origine et celui des faits n'est pas exactement le même dans Des feuilles dans la bourrasque. Le village constitue le lieu principal de l'intrigue, il fait partie de l'histoire commune de ses habitants. Cependant, si on s'attarde sur cette idée, on remarque que les principaux protagonistes du roman ne sont pas de Macondo au départ, et le rejoignent au cours de leur existence. Le colonel, le docteur, le curé et Martin ont ceci en commun qu'ils sont tous, chacun à leur manière, des étrangers qui connaissent des problèmes d'intégration. [...]
[...] Le travail sur la subjectivité est également très présent dans Des feuilles dans la bourrasque. Le monologue du fils d'Isabelle entame et termine l'œuvre, mais on peut remarquer qu'il est légèrement moins présent dans le développement du récit. En effet, il n'intervient que dans cinq des onze chapitres alors que sa mère est présente dans sept d'entre eux. Le colonel, quant à lui, intervient dans chacun des chapitres, puisque son monologue intérieur est réparti en douze parties différentes. On l'a vu dans les sous-parties précédentes, le colonel est le personnage le plus âgé et le plus impliqué dans les diverses histoires. [...]
[...] Pourtant, au fil de l'œuvre, le lecteur découvrira que ce titre, même s'il est mérité, n'est pas sans souci. En effet, Pipi, malgré sa réussite sur le marché, malgré la place qu'il est arrivé à se faire dans son monde ne semble pas pouvoir échapper à la mauvaise fortune que son père lui avait prédite dès son enfance : Tu sauras parler à la jarre, mais la Belle te mangera Nul ne savait à l'époque qu'il résumait ainsi le destin de Pipi (p.53). [...]
[...] Les souvenirs se matérialisent avant tout sous la forme de fantômes. Dans Des feuilles dans la bourrasque, contrairement au personnage du docteur, qui incarne la mort dans tout ce qu'il y a de plus concert et de réaliste, des fantômes apparaissent parfois devant les vivants. Le fils d'Isabelle, malgré son jeune âge, est particulièrement sensible à ces visions. Lors d'une conversation avec sa tante Ada, il avoue en effet : Je savais déjà à l'époque que dans la cuisine il y a un mort qui s'assoit toutes les nuits, le chapeau sur la tête, pour regarder les cendres du feu éteint (p.78). [...]
[...] Cependant, moins indolent et volontaire que sa fille a l'air de le croire, le colonel redevient un instant ce qu'il est véritablement : un vieil homme fatigué et handicapé. Les références à sa jambe, à sa canne deviennent plus appuyées à la fin de l'œuvre qu'elles ne l'étaient dans les premières parties. C'est un héros en quête de justice, certes, mais un héros fragilisé par les conflits humains et les rapports de force. Son histoire permet de souligner les drames humains qu'il traverse et les mœurs dégradées et négatives de tout un village. [...]
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