En 1936, Eva est une jeune femme allemande qui mène une existence routinière sur la petite ferme qu'elle occupe avec son mari, Hans, et ses deux enfants, Karl et Olga. Ils habitent dans le Sud de l'Allemagne, près de la frontière suisse.
Eva a été mariée à Hans, un homme assez taciturne, à seize ans et n'a jamais connu la passion amoureuse.
Hans, appelé sous les drapeaux, confie à son épouse la gestion de l'exploitation en lui demandant de se concentrer sur le potager et le poulailler pour vendre les oeufs au marché. Les deux enfants ne lui seront pas d'une grande aide car, après l'école, ils passeront de plus en plus de temps dans les réunions des jeunesses hitlériennes. Malgré cela, Eva parvient à augmenter sa production d'oeufs, qui se vendent bien en cette période de pénurie alimentaire (...)
[...] Celle que j'étais n'était pas en quête de ce que j'appellerais aujourd'hui le bonheur. Elle survivait. Ses parents mes parents avaient assuré son avenir quand ils lui avaient trouvé un mari, se libérant ainsi d'un souci, ou plutôt le lui transmettant. Je sentais que je devais contribuer à soulager les autres de leur responsabilité à mon égard. Cette femme avait passé des années à payer son droit à l'existence comme une esclave du monde où elle s'excusait 2 d'être née, où son travail qui lui valait le maintien de la permission d'exister ne lui permettrait jamais d'acheter sa liberté. [...]
[...] Elle n'entamait rien sous le coup d'une idée, d'un désir, d'un souhait. Tous ses actes étaient voués à l'entretien de la ferme, non pas en vertu d'une opinion personnelle mais en fonction de la nature, de la nécessité. ( ) Une femme différente émergeait, on pourrait presque dire se détachait du personnage de la cultivatrice. Cette femme avait des idées, des désirs, une volonté. Telle était la différence. Le changement n'était pas immédiatement perceptible mais je savais qu'il survenait. Mes pensées, qui se réduisaient jusqu'alors à me rappeler ce que j'allais devoir faire juste après, je les entendais prendre dans ma tête la forme de dialogues. [...]
[...] Il y a du Brecht dans ce personnage-là, qui fait pas à pas, avec le jeune juif recherché, un véritable apprentissage sentimental et civique. L'ancienne femme gelée perçoit désormais, en elle-même et autour d'elle, des ondes inconnues : " Cet homme me faisait ressentir des émotions que j'avais craint ne jamais connaître. " Des questions surgissent, dont elle n'avait pas même eu l'idée qu'elles pussent un jour être posées. Des faits prennent sens, qui auraient auparavant ressorti à quelque immémoriale fatalité. Une poignante accession à la conscience, merveilleusement accompagnée par Linda D. [...]
[...] Cirino, paru en 1997 et proposé aujourd'hui dans une version française de grande tenue, constitue une authentique révélation. Voilà en effet une œuvre à la fois forte, originale, grave et belle, un récit dépouillé à l'extrême, dont l'essentiel se joue dans un vulgaire poulailler, et qui pourtant s'élève à la hauteur d'une grande fable. On aimerait ici que ce texte admirable trouve un large public et ne connaisse pas une fortune moins grande que des romans notoirement surévalués, vendus pour des livres majeurs par des éditeurs malins. [...]
[...] Puis, tu es venu et j'ai pensé que c'était simplement pour mon plaisir que tu étais ici. À présent, je me rends compte qu'ils te prennent en chasse, je ne pourrai plus dormir. Je suis aussi traquée. Je me suis demandé ce qu'il y a en toi de différent et je ne connais pas encore la différence. Je pensais que la politique était une affaire lointaine mais je l'ai découverte dans mon poulailler. Et au couvent. Il m'a fallu tout ce temps pour m'apercevoir que j'étais douée pour décider. [...]
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