D'un château l'autre constitue avec Nord et Rigodon un cycle ouvertement autobiographique narrant les pérégrinations de Céline à travers l'Allemagne en déroute. Plus précisément Céline fait part ici de sa vie quotidienne à Sigmaringen où il est réfugié avec «1142» condamnés à mort dont bon nombre de collaborationnistes français, notamment Pétain, Brinon, Bichelonne, Laval. Il décrit des personnages, des situations, d'un ton direct et sans pitié. Mais au-delà de cet apparent «reportage» (ce que nous pourrons nuancer), D'un château l'autre est une sorte de grande hallucination retranscrite dans le texte. La ville de Sigmaringen apparaît comme complètement dégénérée, en pleine déchéance, misérable. C'est par là que l'on pourrait qualifier ce roman, par analogie avec Voyage au bout de la nuit, de “bout de la nuit”. Cela d'autant plus que Bardamu dans cette œuvre précédente pérégrine à travers le monde en Afrique, en Amérique, en France, constatant le triste état du monde, alors que dans D'un château l'autre il reste surtout à Sigmaringen. Céline a ainsi écrit : «la vie c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit»
[...] C'est le règne du sexe, de la débauche, du mensonge, de la délation, de la folie, de l'inquiétude. Cette impression est d'ailleurs renforcée par les descriptions que fait le narrateur de la ville. Y est dépeinte une ville de contes, avec par exemple une longue description merveilleuse du château et de la ville : Votre plateau, la scène, la ville, si jolie fignolée, rose, verte, un peu bonbon, demi-pistache, cabarets, hôtels, boutiques, biscornus pour metteur en scène tout style baroque boche et Cheval blanc vous entendez déjà l'orchestre ! le plus bluffant : le château ! [...]
[...] Les portraits de grands personnages, les petites révélations par exemple les avions qui survolent la ville sans bombarder l'histoire vécue de l'autre côté avec les regards sur l'avancée des troupes des Alliés constituent autant d'attraits. Enfin, d'un point de vue littéraire, il s'agit d'une expérience forte. Au premier abord surprenant, le style de Céline devient vite captivant. On oscille entre amusement, dégoût, surprise, mais jamais ravissement, ce qui traduit cette atmosphère atypique contenue dans ces pages. [...]
[...] vous Céline ! la parole qui les rassurait ! que c'était moi qu'on allait pendre ! sûr ! certain ! mais pas eux ! pas eux ! ah, chers eux ! les livres que vous avez écrits ! ce que j'ai adouci d'agonies, d'agonies de trouilles avec Bagatelles !juste ce qu'il fallait, ce qu'on me demandait ! le livre du bouc ! [...]
[...] Cette façon d'écrire est porteuse de sens. Le concept même traduit une volonté de rompre avec les dogmes littéraires. Céline évoquant les livres de style Académie française parle de tout lourds à l'encre, morts phrasibules, morts rhétoreux». Mais il s'agit aussi d'un support pour introduire des aspects dans la narration qui dépassent au fond le parler simple. Ainsi Céline ajoute-t-il des néologismes vagineux cafouilloneux parle-t-il un argot familier ou même vulgaire, déforme- t-il de manière subtile la syntaxe. Mais au fond il s'agit d'un style très travaillé, car justement donnant l'impression de la négligence. [...]
[...] D'un Château l'autre est une œuvre où le sexe est ainsi très présent, laissant entendre un Céline obsédé par cela. Le personnage d'Hilda ou encore la gare de Sigmaringen présentée comme un gigantesque lupanar sont des exemples: L'attirance viande fraîche et trains de troupes, plus le piano et les roulantes vous représentez ces scènes d'orgies ! un petit peu autre chose de bandant que les pauvres petites branlettes verbeuses des Dix-sept Magots et Neuilly ! il faut la faim et les phosphores pour que ça se donne et rute et sperme sans regarder ! [...]
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