L'atmosphère gaie, presque euphorique, de La Chartreuse de Parme provoque habituellement l'enthousiasme de ceux qui aiment à rêver, et le rejet de ceux qui ne croient qu'à la solide réalité. Aussi la critique littéraire se divise depuis longtemps en deux clans : d'un côté les amateurs de belles histoires rocambolesques, qui font leurs délices de La Chartreuse de Parme, et de l'autre, les réalistes qui ne pensent que Rouge, Noir et critique sociale.
Julien Gracq, dont les romans dégagent une atmosphère onirique, appartient en toute logique au premier côté, celui des admirateurs de La Chartreuse. Aussi, dans En lisant en écrivant, évoque-t-il avec tendresse cette « seconde patrie habitable » que Stendhal crée pour ses lecteurs, refuge « à l'écart », « suspendu hors du temps, non vraiment situé, non vraiment daté » ; paradis « irrigué par le bonheur de vivre » ou tous les jours sont des dimanches, Éden des « passions en liberté » où « rien en définitive ne peut se passer très mal, où l'amour renaît de ses cendres, où même le malheur vrai se transforme en regret souriant ».
Pour exprimer le plaisir que procure la lecture de Stendhal, Julien Gracq a recours à un style affectif, riches en métaphores et comparaisons. Les images s'articulent autour de deux axes : celui du refuge « à l'écart », de « l'ermitage », et celui de la liberté, qu'illustrent les images récurrentes d'eau jaillissante. Notons que, tout en brossant le tableau d'un monde idéal, Julien Gracq ne nie pas la présence du malheur au cœur de ce paradis, même si ce malheur se neutralise en « regret souriant ». Dans ce texte, Julien Gracq pose la question du climat de La Chartreuse de Parme, des rapports que ce roman entretient avec la réalité, mais aussi des pouvoirs de l'écriture littéraire.
Nous tenterons de cerner les éléments qui justifient la lecture de Julien Gracq, tout ce qui permet de penser que La Chartreuse de Parme est bien un Éden idéal, une patrie du bonheur et de la joie coupée, ou du moins séparée, de la vie triviale que nous connaissons tous nécessairement. Nous étudierons ensuite les procédés par lesquels Stendhal désamorce les possibilités tragiques du roman, apaise le « malheur vrai » en « regret souriant », et métamorphose finalement la douleur en douceur. Dans un troisième temps, nous tenterons de nuancer le point de vue de Gracq : une part de réalisme n'est-elle pas malgré tout présente dans La Chartreuse ? Cette « seconde patrie habitable » que Stendhal crée pour ses lecteurs n'est peut-être pas si éloignée de la vraie vie…
[...] En esquissant la silhouette des Français, le romancier dessine en creux le portrait de ses héros. Dans La Chartreuse, l'idéal n'existe que par rapport à la réalité ; c'est d'ailleurs une loi picturale : les ombres sont nécessaires à la lumière qui sans elles paraîtrait terne. Stendhal, grand amateur du Corrège, l'avait compris. La Chartreuse contient juste assez de réalisme pour qu'on perçoive cet écart qu'avait senti Julien Gracq, écart qui se creuse, au sein même du roman, entre le prosaïsme et l'idéal. [...]
[...] Son nom en lui-même est déjà risible : la rencontre des consonnes et et la répétition des consonnes et extrêmement dissonante, rend le nom Ernest-Ranuce grotesque. La scène où le tyran se ridiculise devant la Sanseverina, extrêmement drôle, permet aussi de rassurer le lecteur sur la dangerosité du personnage : Le prince était resté comme frappé par la foudre ; de sa petite voix aigre et troublée il s'écriait de temps à autre en articulant à peine : - Comment ! [...]
[...] Le bonheur en deçà du roman : la genèse imaginaire du roman c. Le bonheur au-delà du roman : les happy few 2. Procédés par lesquels Stendhal désamorce le malheur, la souffrance et l'angoisse a. L'ellipse et l'euphémisme b. L'humour souriant c. Le ridicule 3.La part de réalisme de La Chartreuse a. La laideur b. [...]
[...] Le roman se construit dans ce va-et- vient entre la bassesse fangeuse des âmes vulgaires et cette grandeur symbolisée par les tours du roman : la tour Farnèse, bien sûr, mais aussi le clocher de l'église de Grianta. Le charme tout puissant de La Chartreuse de Parme ne serait probablement pas ce qu'il est sans ces effets de contraste. Le Portement de Croix avec Sainte Véronique. Ce tableau, que Jérôme Bosch aurait peint à la fin de sa vie, constitue son chef-d'œuvre. Le Christ dont on ne voit que le visage est représenté au milieu de visages grossiers et grimaçants, alors que Sainte Véronique semble prier intérieurement au milieu de cette foule agressive et furieuse. [...]
[...] La Chartreuse de Parme, refuge du bonheur de vivre ? Sujet A propos de Stendhal, Julien Gracq écrit, dans En lisant en écrivant : Chacun le sait [ ] tout grand romancier crée un monde - Stendhal, lui, fait à la fois plus et moins : il fonde à l'écart pour ses vrais lecteurs une seconde patrie habitable, un ermitage suspendu hors du temps, non vraiment situé, non vraiment daté, un refuge fait pour les dimanches de la vie, où l'air est plus sec, plus tonifiant, où la vie coule plus désinvolte et plus fraîche un Éden des passions en liberté, irrigué par le plaisir de vivre, où rien en définitive ne peut se passer très mal, où l'amour renaît de ses cendres, où même le malheur vrai se transforme en regret souriant. [...]
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