Les personnages du roman, qui gravitent autour de l'héroïne, sont assez nombreux et très divers dans leurs « personnalités », leurs statuts, leurs rôles par rapport à l'héroïne à laquelle ils s'opposent ou apportent leur soutien. Certains ne font que de brèves apparitions dans le roman et n'en sont pas pour autant dénués de force narrative ou symbolique. Autrement dit, l'altérité dans Jane Eyre revêt des formes et des fonctions multiples.
On rejoint là la définition à la fois simple et signifiante que donne Le Petit Robert de l'altérité comme le « caractère de ce qui est autre ». L'absence de déterminant devant « autre » est à ce titre révélateur de la dimension englobante du concept d'altérité comme quelque chose de défini et d'indéfini, au visage protéiforme et dont l'appréhension n'est peut-être pas si aisée qu'elle peut le paraître de prime abord.
Dans la tradition philosophique occidentale, l'autre est un autre soi en même temps qu'il est un autre que soi. Dès lors, on voit que la frontière entre autres et même est tout à fait ténue et laisse le champ ouvert à une certaine interprétation. C'est dans cette tradition que s'inscrit cette étude du roman.
[...] Avec ce passage à une conception de l'autre beaucoup plus intériorisée, on pourrait dire qu'on quitte l'alter ego l'autre moi- même, pour un ego alter En ignorant l'anachronisme, on peut dire qu'on se trouve dans Jane Eyre dans un schéma inverse à celui du Dr Jekyll et Mr Hyde puisque là où Stevenson faisait naître deux consciences à partir d'un seul personnage, il semble que chez Charlotte Brontë ce soit une conscience qui soit synthétisée en deux personnages, révélant la dualité voire la multiplicité du personnage principal, intégrant l'autre au soi. Plus encore qu'au niveau narratif, c'est au niveau discursif que cette dimension est particulièrement visible. [...]
[...] En Jane, il y a donc de l'Antigone : la révolte et la rébellion contre le pouvoir patriarcal qui donnent à l'héroïne la force de faire face aux obstacles jusqu'aux extrémités de la pensée et de la vie ; on a un écho très clair dès le début du récit p.12 instigated some strange expedient to achieve escape from insuportable oppression où le monologue intérieur de Jane enfant tourne au tragique dans le sens propre du terme. En Jane, il y a d'Eve (p.223 don't turn out a downright Eve on my hands et de Lilith. Construite en opposition à Bertha (la folle littéraire) mais aussi en intégration de cette dernière, Jane représente à la figure contradictoire de la maîtresse femme sensible dans les passages aux résonances féministes du texte. Enfin, en Jane, il y a un peu de la femme de Barbe Bleue. [...]
[...] Autrement dit, l'altérité dans Jane Eyre revêt des formes et des fonctions multiples. On rejoint là la définition à la fois simple et signifiante que donne Le Petit Robert de l'altérité comme le caractère de ce qui est autre L'absence de déterminant devant autre est à ce titre révélateur de la dimension englobante du concept d'altérité comme quelque chose de défini et d'indéfini, au visage protéiforme et dont l'appréhension n'est peut-être pas si aisée qu'elle peut le paraître de prime abord. [...]
[...] C'est à ces moments que l'on a réellement l'impression que Jane se dédouble ou qu'une autre Jane apparaît. Le célèbre je est un autre rimbaldien prend alors tout son sens. Une nouvelle voix est alors créée et elle est nommément instituée notamment p.133 the secret voice et p.172 the still small voice Le passage de la page 133 est particulièrement révélateur de cet effet puisque l'on passe de la conjecture au monologue intérieur (bien qu'entre guillemets ici), qui se présente souvent comme le moyen de construire le discours sur l'adhésion du lecteur qui accepte la fameuse willing suspension of disbelief de Coleridge, pour se diriger insensiblement vers du DIALOGUE intérieur. [...]
[...] De même, contrairement à la femme de Barbe Bleue, Jane résiste à la tentation et ne brise pas l'interdit. Ainsi, Jane Eyre, personnage, et Jane Eyre, texte, résolvent de façon très moderne la dichotomie classique de la création textuelle comme nécessairement en calque de l'autre ou en opposition totale à l'autre. L'altérité y est comprise, contenue, intégrée mais aussi dépassée et synthétisée et confère au roman la force du palimpseste. Pour conclure, on peut dire que l'altérité dans Jane Eyre s'exprime avant tout assez simplement à travers les différents personnages qui, par leur genre ou leur statut, s'opposent, complètent ou sont intégrés au personnage éponyme ; ils sont à la fois ou alternativement l'autre que soi et l'autre soi. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture