En 1555, le chevalier de l'ordre de Malte Nicolas Durand de Villegagnon, se faisant passer pour un ardent défenseur de la cause calviniste, gagne la faveur de l'amiral Gaspard de Coligny et obtient du roi Henri II le financement d'une expédition sur la côte du Brésil, dans l'espoir d'y fonder un refuge protestant. La fin du règne de Henri II (1547-1559) est en effet marquée par une recrudescence des persécutions visant les Réformés, qui sont systématisées par l'édit de Châteaubriant du 25 juin 1551. Les bûchers partout allumés dans le royaume font appeler cette période le temps des « Feux », bientôt suivi par celui des « Fers » (à partir de 1560), correspondant aux guerres de religion proprement dites (les Feux et les Fers sont d'ailleurs les titres de deux des sept livres des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné). A ce motif sacré s'ajoute aussi un motif profane : il s'agit de concurrencer les Espagnols et les Portugais dans leur politique coloniale, et de découvrir des richesses qui profiteront au royaume de France.
[...] La mer recèle le désir de sublimation du voyage : franchir la forteresse atlantique revient à présenter le voyageur comme un héros avant même l'exploration des merveilles de la terre étrangère subsistant dis-je ainsi au milieu d'un million de sépulcres, n'est pas voir les grandes merveilles de l'Eternel ? La halte aux Iles Canaries, surnommées les Iles fortunées donne une allure mythique au voyage. Elles apparaissent comme une figure paradisiaque (cf. poème de Ronsard intitulé les Iles Fortunées qui date de 1553), une dernière résidence de l'Age d'or, où fleurit un éternel printemps et où l'abondante canne à sucre serait l'équivalent du miel Et sans faillir, par la bonté du ciel, / Des chênes creux se distille le miel écrit Ronsard). [...]
[...] Le contraste entre le paradis des Iles fortunées et l'enfer de la tempête se retrouve dans la narration même de la tempête, dont les vagues alternent profonds gouffres et abîmes et épouvantables montagnes symbolisant ainsi les vicissitudes de la fortune. Un hymne à la gloire de Dieu L'ambition littéraire de Léry Après treize jours, la tempête se calme, ce qui évoque à Léry le souvenir de l'Evangile, quand Jésus apaise la colère des flots sur le lac de Tibériade. Thevet évoque aussi, dans sa Cosmographie du levant, ce grand Patron, qui à un seul mot, tranquille, et rend coi la mer et ses vents Le souffle du vent connote d'ailleurs la spiritualité (la racine -spir en latin signifie précisément le souffle) et par là même l'intervention divine. [...]
[...] Les deux espaces qui structurent le récit illustrent, de façon schématique, la fonction double qui caractérise le récit de voyage, à la fois divertissant et didactique, entre le romanesque et le factuel : il y a d'un côté un espace extensible, qui se déroule selon l'avancée progressive du navire, celui de la traversée maritime et qui coïncide avec le récit linéaire, la narration quotidienne diachronie) et de l'autre un espace circonscrit : celui des terres brésiliennes sur lesquelles Léry séjourne plusieurs mois, qui accueille la description et l'inventaire, présentés en un seul bloc synchronie) Dès ce chapitre, consacré pourtant à la traversée maritime, on observe cependant une interférence entre description et narration : le récit mouvementé du voyage est suspendu par la description zoologique d'une espèce de poisson étrange, que les marins appellent Sardes (ainsi il est de ce poisson qu'il a si peu de corps qu'il semble que la tête et la queue soient joints ensemble L'étrangeté est donc d'abord modulée sur un élément particulier de la gamme cosmologique. Dans l'attente du Nouveau Monde, l'océan constitue déjà un monde nouveau où l'œil et la plume du voyageur peuvent s'exercer à merveille. [...]
[...] Mais ces péripéties jouent surtout le rôle d'une mort initiatique, symbolique. La renaissance de Léry sera alors symbolisée par son baptême par les Indiens, qui lui attribuent un nom tupi Lery-oussou et l'enracinent ainsi dans leur culture. Cette dimension symbolique est aussi illustrée par l'emploi des nombres qui définissent la durée des différentes tempêtes auxquelles les voyageurs doivent faire face : La première tempête dure douze jours ce qui évoque les 12 apôtres de Jésus-Christ, les 12 portes de Jérusalem tribus d'Israël : le 12 est le nombre du monde achevé car il est le produit du 4 qui symbolise le monde terrestre (qui se compose de quatre éléments et de quatre points cardinaux) et du 3 de l'unité divine (sainte trinité). [...]
[...] Mais les marins font aussi preuve d'une cruauté gratuite : Après avoir pillé, aux alentours des Iles Fortunées, une caravelle de pêcheurs espagnols (dans laquelle ils trouvent des chiens de mer secs et des compas, et dont ils s'emparent même des voiles), ils la détruisent à coups de hache. Le 25 décembre, jour de Noël (on retrouve la dimension symbolique), ils abandonnent à son sort l'équipage d'un autre navire espagnol, dont ils ont pillé la cargaison entière (du sel blanc) et déchiré les voiles : il est certain ou qu'ils furent en fin submergés, ou qu'ils moururent de faim note Léry, qui qualifie ironiquement cet acte de beau chef d'œuvre, fait au regret de plusieurs dont il semble faire partie. [...]
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