Après les Fleurs du mal, le recueil des Petits poèmes en prose - ou Le Spleen de Paris-, dont l'ensemble ne connut qu'une publication posthume, représente la dernière tentative de Baudelaire pour accéder à une écriture libre et poétique. Il semble parvenir à son rêve esthétique : la rencontre magique de l'insolite et du quotidien. Dans Chacun sa chimère, sixième poème du recueil, Baudelaire décrit un véritable paysage intérieur, fantastique et pathétique et grâce à un récit allégorique relatant la mystérieuse rencontre d'un narrateur avec des hommes inconnus, victimes d'un monstre familier, il esquisse un tableau saisissant de la condition de l'Homme et de celle du poète.
Ce poème peut se comparer à un rêve légèrement inquiétant dans lequel le poète va croiser un étrange cortège. Le poème, composé de 7 paragraphes, chacun contenant une seule phrase met en scène la vision des hommes chimères, les interrogations du poète et la disparition du cortège. Il fait également surgir de multiples images qui défilent sous un rythme assez lent. Il y a une dimension lyrique et fantastique qui transforme le poème en apologue. Nous verrons ainsi dans un premier temps dans quelle mesure nous pouvons dire que nous assistons à la composition d'un tableau fantastique. Enfin, nous nous interrogerons sur le sens que nous pourrions donner à cette vision.
[...] Des hommes inquiétants Ce paysage lunaire et sombre est habité par des hommes inquiétants. En effet, nous retrouvons des hommes bêtes sans réflexions et actions. Les hommes semblent être des automates. On ne retrouve en effet aucune individualité. On parle de ces hommes on les nomme par la troisième personne du pluriel ils ou encore par le pronom indéfini un de ces hommes (ligne16), aucun de ces voyageurs (ligne 21). Ces hommes n'ont pas de parole, ils font tous la même chose : Ils allaient quelques part écrit Baudelaire à la ligne 19. [...]
[...] C'est par ailleurs en ce sens que nous pouvons dire que deux destins humains semblent symboliquement s'opposer ici. La condition solitaire du poète, comme "écho sonore" des autres est mis en valeur ici. Un rêve sur l'oppression ? En lisant ce poème, il ressort une certaine sensation d'enfermement. La chimère en elle-même est un symbole d'étouffement. Comme nous l'avons vu, c'est un lieu opprimant qui nous est présenté. Il semble en effet écrasé par le poids du ciel sous la coupole spleenétique du ciel (ligne empêchant toute élévation. [...]
[...] Ces hommes sont accablés : "visages fatigués et sérieux" (l25) C'est ainsi que se mélange le réel et l'irréel. Ainsi, ils ont bien un dos et une poitrine ayant ainsi une allure humaine. D'autre part, avec l'apparition des Chimères, nous est dépeint des monstres. Nous rentrons complètement dans le fantastique. En effet, Baudelaire utilise l'allégorie des chimères. Comme Cerbère et bien d'autres monstres, la Chimère est le produit difforme du monstre Échidna et de Typhon. Elle a la tête d'un lion et, ou d'une chèvre et la queue d'un dragon. [...]
[...] C'est un paysage sans couleur qui nous est dépeint, un paysage gris et de poussière, comme fusion du blanc et du noir. Blanc et noir qui sont par ailleurs les couleurs dominantes. Ils sont connotés par le charbon, la poussière et les cendres pour le noir et la farine pour le blanc. Il y a également une absence de vie végétale. Il nous est présenté des plaines absolument sans vie, tel que le montre la répétition de la préposition de séparation Sans dans le premier vers. [...]
[...] Un monde où le paysage est lunaire et les hommes sont inquiétants. Les doutes du narrateur fait entrer le lecteur dans ses interrogations. S'agit-il d'une Chimère, ou d'une vision du narrateur? Une lecture pourtant plus attentive nous montre la leçon philosophique que contient ce poème : une certaine méditation spleenétique et désespérée sur l'absurdité du destin humain. Ainsi, grâce à l'allégorie, qu'il considère comme "l'une des formes primitives et des plus naturelles de la poésie", Baudelaire a parfaitement réussi à reconstituer en une surprenante et poignante vision onirique, à la fois le drame de la condition humaine "condamné[e] à espérer toujours", et la solitude lucide et désespérée du poète. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture