Achevée en 1903 et jouée pour la première fois en 1904, La Cerisaie est la dernière pièce d'Anton Tchékhov, qui succombe à la maladie le 2 juillet 1904 à l'âge précoce de 44 ans. Elle s'inscrit dans le répertoire théâtral de Tchékhov qui lui vaut sa popularité à l'époque, en suivant de quelques années l'écriture de La Mouette, d'Oncle Vania et des Trois Sœurs, et en reprenant à bien des égards les traits particuliers de ces trois pièces. C'est également selon les propres dires de Tchekhov le texte le plus difficile qu'il ait eu à écrire. Médecin de profession, épris de l'exactitude des sciences dures, Tchekhov se distingue en son temps de la littérature romanesque et de la poésie symboliste par son souci de concision, son style fait de phrases courtes, sans fioritures et sans ornements lyriques.
Le but premier de l'écriture de Tchékhov est de décrire le monde tel qu'il est. Son théâtre se fonde par conséquent sur une observation de la réalité sociale. C'est ainsi que La Cerisaie est une véritable reproduction de la société russe de la fin du XIX siècle, une description authentique et par-dessus tout objective des transformations sociales qui touchent un pays en difficile transition. La Cerisaie nous narre l'histoire de la confrontation d'un certain nombre de personnages, liés entre eux et liés à la cerisaie, avec la réalité de l'évolution de la société, du bouleversement de leur situation personnelle, symbole de la douloureuse prise de conscience du temps qui passe.
Les subtilités de la pièce se révèlent par l'analyse de l'organisation de l' « énigme », qui suit une progression particulière au style tchékhovien, par l'analyse des différents personnages de la pièce, chacun ayant un rôle significatif dans la pièce et par la recherche du sens et du but profond de la perte de la cerisaie, qui représente l'essentiel du sens de la pièce.
[...] ( La Cerisaie : comédie ou tragédie ? Tchékhov a sous-titré sa pièce comédie Dans sa correspondance, il insiste sur cet aspect de sa pièce. Il affirme avoir voulu écrire une pièce comique, il souligne le fait que le quatrième acte de sa pièce sera gai et il dit ne pas être un dramaturge : le dernier acte sera drôle, d'ailleurs toute la pièce est gaie, légère ; en fin de compte ma pièce n'est pas un drame, mais une comédie, et par moments, même une farce Pourtant, l'atmosphère qui se dégage du texte est lourde, la tristesse est ressentie tout au long du récit et l'acte II est principalement mélancolique. [...]
[...] Lopakhine se réjouit que lui, fils de serf, soit devenu propriétaire d'un domaine tel que la cerisaie. L'acte III marque le dénouement de la crise dans la terminologie de l'art dramatique, l'intrigue qui tournait autour de la cerisaie est résolue, Lioubov Andreevna est effondrée, le passé est révolu, l'espoir de le voir se prolonger est annihilé. Ce dénouement marque le début d'une ère nouvelle, le bouleversement prévisible de l'ordre social et la redistribution des rôles dans la société. Tchékhov organise ces trois actes dans un rythme particulier : à la précipitation du premier acte suit la lenteur du deuxième puis la brusquerie du troisième. [...]
[...] Lioubov se plaint de ce que la vie lui a fatalement réservé (la faillite, la mort de son fils, les échecs amoureux). Trofimov disserte sur la nature de l'homme, se plaint que l'intelligentsia ne fasse rien et ne travaille pas, alors que lui-même est encore étudiant à un âge avancé comme le lui font remarquer les autres personnages sans une pointe de sarcasme. Par les didascalies, Tchékhov impose des silences et de nombreuses pauses dans ce deuxième acte : Tous se taisent, pensifs. [...]
[...] Mais l'intrigue n'est pas clairement mise en évidence, le sujet de la cerisaie est écarté, seul Lopakhine semble avoir conscience de l'imminence de la décision à prendre, les autres dialogues forment un entrelacement de conversations qui crée un mouvement permanent de va-et- vient, de précipitation qui dévoile l'atmosphère particulière de la pièce. Le symbole de la pièce est subrepticement annoncé par Tchékhov par le biais de Lopakhine : Lopakhine : Oui, le temps passe. Gaev : Quoi ? Lopakhine : Je dis : le temps passe. Gaev : Ca sent le patchouli ici. Par ce court dialogue, Tchékhov souligne le fait que Lopakhine est le seul à anticiper l'avenir, grâce à sa profession de marchand, et que Gaev, héritier de l'aristocratie d'autrefois, ne perçoit pas les transformations qui se déroulent. [...]
[...] De même que ce bruit qui est un signe de l'extérieur qui vient prévenir les personnages, Tchékhov va utiliser le télégramme pour montrer l'évolution de la position de Lioubov par rapport à son destin : dans l'acte Lioubov reçoit un télégramme qu'elle déchire sans le lire, dans l'acte II, elle le lit mais n'en tient pas compte et dans l'acte III, elle reçoit un télégramme qui la convainc de retourner à Paris. L'acte III est plus court que les deux premiers actes de la pièce et reprend un rythme beaucoup plus rapide, presque brutal. Cet acte s'organise autour de la fête organisée par Lioubov. Mais cette fête n'est qu'illusoire, c'est une façon pour Lioubov et Gaev d'essayer d'oublier l'imminence d la vente du domaine de la cerisaie. La fête est ratée, les invités prestigieux n'arrivent pas, l'amusement n'est pas au rendez-vous. [...]
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