Les carnets de Camus, Susan Sontag, penseur, jugement politique, critiques littéraires
Toute évocation de Camus mélange jugement littéraire, moral et personnel. On suggère au moins la bonté et le charme de l'homme. Ecrire sur Camus revient donc à considérer ce qui se passe entre l'image de l'écrivain et son œuvre, entre la moralité et la littérature. Car non seulement Camus projette la question morale sur ses lecteurs mais il fait porter par chacune de ses œuvres un sentiment de responsabilité ou bien son absence.
Il serait intéressant de comparer Camus avec Georges Orwell et James Baldwin, deux autres auteurs qui tentent de combiner le rôle de l'artiste avec la conscience civique. Orwell et Baldwin sont de meilleurs écrivains dans leurs essais que dans leur fiction. Cette disparité ne se retrouve pas chez Camus, dont l'ampleur de l'œuvre et le talent sont sans commune mesure avec les deux autres auteurs. Mais il n'en reste pas moins que l'art de Camus est toujours au service d'une certaine conception intellectuelle qui est toujours mieux – plus clairement – véhiculée sous la forme de l'essai.
[...] Pour certain, cette usure a débuté de son vivant. Sartre, dans le célèbre débat qui a brisé leur amitié, fit cruellement remarquer que Camus transportait avec lui un piédestal portable Puis vint cet honneur mortel, le Prix Nobel. Et peu avant sa mort, un critique prédisait à Camus un même destin que celui d'Aristides. Nous allions nous fatiguer de l'entendre appeler le Juste Peut-être est-il toujours dangereux pour un écrivain d'inspirer de la gratitude à ses lecteurs, la gratitude étant le plus véhément mais aussi le plus bref des sentiments On sent chez Camus comme chez Baldwin la présence d'une passion tout à fait authentique, et historiquement cohérente. [...]
[...] Son incapacité à se prononcer sur la question algérienne, une situation sur laquelle lui seul, à la fois algérien et français, était tout à fait qualifié pour intervenir, constitua le testament malheureux de sa vertu morale. Au cours des année 1950, Camus déclara que ses sympathies et ses fidélités personnelles lui rendaient impossible tout jugement politique décisif. Pourquoi demande-t-on autant à un écrivain ? disait-il. Les Carnets de Camus ne constituent pas un grand journal littéraire comme ceux de Kafka ou de Gide. Ils contiennent une foule de choses différentes. [...]
[...] Le problème de Camus dans les dernières années de sa vie n'est pas qu'il soit devenu religieux ou qu'il se soit fourvoyé dans le sérieux d'une attitude humanitaire bourgeoise, ni qu'il ait perdu son nerf socialiste. Le problème était qu'il se soit drapé dans le tissu de sa propre vertu. Un écrivain qui agit comme une conscience publique a besoin de beaucoup de nerf et d'un excellent instinct, comme un boxeur. Après un certain temps, cet instinct diminue inévitablement. Il faut aussi être dur sur le plan émotionnel. [...]
[...] Des ébauches de livres, des notes pour de prochains écrits, des morceaux de conversations surprises ici ou là, des idées d'histoires, et parfois des paragraphes entiers qui seront plus tard incorporés dans des romans ultérieurs. Mais ces carnets sont surtout impersonnels, antibiographiques. Rien sur la vie quotidienne pourtant riche de Camus, intérieurement comme extérieurement, rien sur sa famille dont il était pourtant très proche. Ses carnets ont une fonction spécifique. Avec eux, il construit il prépare, morceau par morceau, ses écrits de demain. 2014. [...]
[...] Les carnets de Camus par Susan Sontag (Notes de lecture) Toute évocation de Camus mélange jugement littéraire, moral et personnel. On suggère au moins la bonté et le charme de l'homme. Ecrire sur Camus revient donc à considérer ce qui se passe entre l'image de l'écrivain et son œuvre, entre la moralité et la littérature. Car non seulement Camus projette la question morale sur ses lecteurs mais il fait porter par chacune de ses œuvres un sentiment de responsabilité ou bien son absence. [...]
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