Pages 610-611 de l'édition Folio. « Un livre de souvenirs est aussi peu vrai qu'un roman ». En écrivant cette phrase, Jean Genet parle de son texte Un captif amoureux, et de la notion de « vérité ». En effet, l'ultime ouvrage de cet écrivain se place entre récit autobiographique et texte engagé, témoignant de la guerre en Palestine, et ne cesse de jouer avec les mots comme avec des masques, désorientant le lecteur. Les deux parties qui composent ce livre s'intitulent Souvenirs I, et Souvenirs II, plaçant ainsi le texte dans la veine autobiographique, celle du témoin qui a vu des événements qu'il souhaite retracer. On sait que deux faits ont déclenché la décision de l'écriture du Captif amoureux : tout d'abord Genet se savait malade, il y avait donc urgence à achever son ultime œuvre, et de plus, il avait été choqué par quatre heures passées à Chatila après un massacre dont il s'agissait de maintenir la mémoire par fidélité au peuple ami. Dès la genèse de ce livre se mêlent donc soucis personnels et vérité historique, et jusqu'à la dernière page Genet va se demander quelle est sa place au sein de ce combat avec les feddayin, en quoi en est-il le témoin, et savoir même si cette notion de témoignage est possible. Le poète Genet, que l'on qualifiait souvent de poète de la trahison, qui considérait l'écriture comme un mensonge, finit pourtant Un captif amoureux, et ainsi son œuvre, puisque c'est son ultime ouvrage, par une réflexion sur la place du témoin, sur la notion de vérité, mais aussi de transparence. Comment pouvons-nous donc lire cet excipit qui paraît si peut en rapport avec le reste de l'œuvre de Genet ? Comment comprendre ces notions de « témoignage » et de « vérité » ? Mais comment entendre également en quoi ces ultimes lignes retracent le lien entre l'Histoire et l'intimité que vit l'auteur ? Nous verrons tout d'abord quelle est la perception de Genet des notions de témoignage et de vérité, pour ensuite étudier le rapport entre réalité et rêverie qui s'installe dans cet excipit ; et enfin, nous observerons comment la poésie laisse transparaître l'intimité de l'auteur face à l'Histoire qu'il vit, dont il est le témoin.
[...] La dernière phrase du texte est également révélatrice de la vision du poète du souvenir : Cette dernière page de mon livre est transparente On peut rappeler ce que J.B. Moraly avait écrit à propos d'Un captif amoureux (qu'il nous avait invité à ne pas lire : son livre n'est pas vraiment fini. Ce chimiste de la virgule laisse un brouillon comme testament. S'il avait vécu, il aurait modifié son livre, il l'aurait coupé, sinon détruit ( ) Un captif amoureux n'est pas fini. Quelle est alors cette transparence dont Genet nous fait part en fin de son œuvre ? [...]
[...] Un captif amoureux, Jean Genet Après son nom . Cette dernière page de mon livre est transparente. Un livre de souvenirs est aussi peu vrai qu'un roman En écrivant cette phrase, Jean Genet parle de son texte Un captif amoureux, et de la notion de vérité En effet, l'ultime ouvrage de cet écrivain se place entre récit autobiographique et texte engagé, témoignant de la guerre en Palestine, et ne cesse de jouer avec les mots comme avec des masques, désorientant le lecteur. [...]
[...] Trois ou quatre personnes seulement savent l'écouter. On se rend ainsi compte à la lecture de cet excipit que Genet met en scène son acte d'écriture pour définir sa perception du fonds de ce qu'il écrit. Il se place en tant que témoin, représentant de la vérité, mais va aller contre cette position au fil de sa réflexion en montrant l'impossibilité de ce témoignage. Il place ainsi Un captif amoureux dans un double axe, à la fois celui du témoignage impossible de vérité, et en même temps celui de la non recevabilité de l'œuvre, qui ne sera donc comprise que par certains capables d' écouter un témoin La notion de vérité est niée par Genet lui-même qui va amener une autre idée problématique, celle du lien entre réalité et rêverie. [...]
[...] On oscille alors entre vérité et imaginaire. En effet, Genet place cet épisode comme possible, mais il doute de ce qu'il a écrit. S'il doute c'est que cette nuit-là fut pour lui très importante, plus importante même que tout le reste de la révolution palestinienne : pourquoi ce couple est-il tout ce qui me reste de profond, de la révolution palestinienne ? Par profond on peut comprendre que c'est justement ce qu'il lui reste dans sa mémoire comme étant le souvenir le plus clair. [...]
[...] Le jeu sur la rêverie et la réalité prend ainsi toute son ampleur. Mais il se peut aussi que cette transparence marque un sentiment de vérité personnelle enfin exaucée ; en effet, le souvenir de la maison d'Irbid, et de la mère d'Hamza lui donne une nouvelle identité, celle du fils. Ainsi, elle le libère d'une quête qu'il a poursuivie toute sa vie, et cette page, symbole de son œuvre devient transparente comme son esprit qui se libère. Genet n'est alors plus un orphelin, et même si cette nuit balance entre rêve et réalité, c'est la poésie, l'alliance entre cette intimité et l'Histoire d'un peuple qu'il soutient qui va permettre cette libération de l'écrit, cette transparence. [...]
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