Tout d'abord l'hétéroclisme de ce chapitre est visible à travers la variété de l'écriture que le narrateur nous propose puisqu'il suit une progression qui va de la description des lieux, à un dialogue théâtral, pour finir avec le récit de la cérémonie sacrilège. Mais cette construction révèle aussi une certaine unité et une cohérence que l'on peut voir grâce à la constante des motifs qui réapparaissent et qui donnent l'impression d'une grande mascarade, une scène de théâtre (c'est pourquoi on a des didascalies, des dialogues et de la pantomime).
[...] des questions et des différentes parlures employées. - Confusion brouillage : Biassou utilise à la fois l'espagnol et un mauvais français (il oscille donc entre parlure blanche et noire), entre un caractère humain et bestial car les commentaires du narrateur, comparable à des didascalies, précisent qu'il ne cesse de ricaner comme une hyène Une opposition se fait là aussi sentir cette fois non pas dans les personnages même ni dans le décor mais entre deux personnages. D'Auverney adopte une attitude calme et fière et reste maître de ses émotions alors que la colère contracte les traits de Biassou Le champ lexical employé est celui de la violence (image est-ce que tu viens déjà d'être empalé pour ne pouvoir plier l'épine du dos en présence de Biassou) et de la révolte (il parle de la liberté de ses frères) mais il se présente aussi comme agissant pour les rois de France et d'Espagne. [...]
[...] Les rebelles du camp de Biassou sont décrits comme étant des hommes de couleur, des mulâtres, l'obi a été décrite précédemment comme une griffe (chap. XXVII) et Biassou est un sacatra. Il est donc frappant qu'aucun des personnages du chapitre n'est réellement noir, ils portent tous en eux du sang noir et du sang blanc. Ce mélange des sangs est perçu tout au long de l'œuvre comme une sorte de monstruosité et distingue les noirs tels que Bug Jargal et les hommes de couleurs qui sont du côté de la violence. [...]
[...] D'Auverney est en quelque sorte vendue comme un esclave par le noir qui s'empresse de compter son butin, et Biassou n'hésite pas à s'octroyer les services de deux enfants blancs qui portent le caleçon des esclaves Leurs valeurs politiques sont tout aussi paradoxales. Le décor met en évidence à la fois le drapeau royaliste (fleur de lysé) et le drapeau tricolore. Biassou est le chef des esclaves rebelles, se met en scène comme un roi (sur un trône avec son bouffon) et se présente en tant que généralissime des pays conquis et maréchal de camp des armées de su magestad catolica : est-il rebelle ? Révolutionnaire ? Roi ? [...]
[...] Un poignard devient un crucifix et des roulements de tambour annoncent la messe. Une messe qui est par ailleurs vouées au culte d'une religion blanche : calice, ostensoir, autel, diacre, tabernacle, chape, missel. Mais des expressions créoles sont utilisées, au détriment du latin ou d'une langue blanche : bon Giu bon per C'est par ce hétéroclisme que la négritude est dénigrée dans ce passage car qu'est-ce qu'un royaume où ils auraient le pouvoir et la liberté d'agir selon leur propre culture, ce n'est en fait qu'une grande mascarade de la culture blanche. [...]
[...] Le poignard (symbole de révolte) devient une croix, l'autel, le ciboire, le tabernacle a été volé. La grande théâtralité de la cérémonie révèle aussi un travail de brouillage : est-ce une cérémonie religieuse ou militaire ? Biassou donne des ordres à l'armée qui obéit, le prisonnier d'Auverney est contraint de s'agenouiller, les rebelles entrechoquent leurs armes lorsque l'obi présente l'hostie. Les univers des noirs et des blancs sont aussi mélangés puisque le chapelain ne s'exprime pas en latin, en espagnol ou en français, mais en créole. [...]
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