Au sein d'un texte qui pourrait faire figure d'un ample pacte de lecture et qui se distingue typographiquement du reste de l'écrit en même temps qu'il le préfigure, l'auteur expose d'emblée le genre auquel appartient l'oeuvre qui nous intéresse présentement, dévoilant par la même occasion ses objectifs ainsi que ses craintes selon ses propres mots : « par le moyen d'une autobiographie portant sur un domaine pour lequel d'ordinaire la réserve est de rigueur - confession dont la publication me serait périlleuse dans la mesure où elle sera pour moi compromettante et susceptible de rendre plus difficile, en la faisant plus claire, ma vie privée - je visais à me débarrasser décidément de certaines représentations gênantes » (p12). Tout ce à quoi Leiris aspire apparaît de façon plus que limpide dans sa phrase « Pour qu'il y eût catharsis et que ma délivrance définitive s'opérât, il était nécessaire que cette autobiographie prît une certaine forme, capable de m'exalter moi-même et d'être entendue par les autres ».
[...] La suite du chapitre est marquée par la réalisation de deux principaux portraits : celui du père de l'auteur, dépeint sous un jour particulièrement dépréciatif, et celui d'une comédienne que Leiris a toujours appelée Tante Lise, également grande chanteuse, et qui joua dans bon nombre de pièces de tous genres. Dans le sixième chapitre, intitulé La tête d'Holopherne nous retrouvons ce que nous pourrions nommer une compilation d'éléments sordides. La découverte d'une image représentant le sacrifice d'Abraham permet d'effectuer un parallèle avec des histoires mythologiques et des rêves sombres ayant eu des répercussions notables sur le caractère de l'auteur. S'ensuit le récit de maladies, d'opérations, d'accidents l'ayant soit touché directement, soit atteint un membre de sa famille ou un camarade de classe. [...]
[...] Mais cela ne fait-il pas plonger le penseur qui s'y livre dans les abîmes d'une auto-contemplation narcissique, une sorte de piège où le coeur, ne cessant de se contempler, reste figé, incapable, plus encore que de retrouver sa situation initiale, d'ébaucher le moindre mouvement ? Pourtant, n'est-ce pas un risque à prendre si l'on veut que le moi qui apparaît d'entrée de jeu comme opaque devienne transparent et évident pour lui-même, puis, dans une plus large perspective, pour autrui ? [...]
[...] Cette connaissance passe également par autrui et les sentiments qui nous attachent aux autres. Les déboires sentimentaux de l'auteur et les relations purement physiques qu'il a entretenues avec de nombreuses femmes sont selon ses propres mots des ratages des tentatives d'affranchissement les erreurs d'un homme qui se cherche sans se trouver. Quant à l'amour sincère et profond qu'il chante à maintes reprises, et qu'il rencontre, pendant un laps de temps très court, mais qu'il rencontre quand même, en la personne de Kay, il a un véritable impact sur lui. [...]
[...] C'est avec le récit d'un rêve que débute le troisième volet de l'autobiographie. L'auteur nous fait alors part de ses réflexions sur le sens caché des rêves, et dévoile son goût pour la pensée par images et métaphores. La découverte d'une reproduction d'un tableau de Cranach, Lucrèce et Judith va, par l'érotisme qui se dégage de l'oeuvre en même temps que par le côté profondément cruel qu'elle exacerbe, la beauté qu'elle exalte et le sentiment de fascination qu'inéluctablement elle suscite, vont modifier de façon plus qu'abrupte la conception qu'a l'auteur de la vie. [...]
[...] Après un tour d'horizon qui lui permet de se remémorer ses voyages et d'analyser leur influence sur sa vie, il réalise une description précise du tableau de Cranach, mettant en exergue les nombreuses similitudes qui lient Lucrèce et Judith, notamment dans leur volonté commune de se libérer, par le suicide ou par le meurtre, de la souillure subie. Il va jusqu'à évoquer des femmes qu'il a réellement connues, et qui représentent pour lui l'incarnation de ces deux personnages. Nul besoin donc de s'étonner lorsque l'on voit à quel point la vie amoureuse, sentimentale et intérieure de l'auteur est réglée autour des sentiments de terreur et de pitié. [...]
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