C'est en 1670 que l'un des plus célèbres dramaturges français, Racine, a représenté, pour la première fois, Bérénice, après avoir accepté d'affronter le non moins connu, Corneille, sur son terrain de prédilection : « une tragédie romaine où la raison d'Etat finit par l'emporter sur la passion amoureuse ». Racine nous donne donc à lire le déchirement d'un homme, Titus, entre son devoir d'Empereur et l'amour qu'il éprouve pour Bérénice. Toute la pièce tournera autour de la difficile révélation de sa décision. Au cours du premier acte, on apprend qu'Antiochus, roi de Comagène, aime Bérénice qui, elle, ne partage pas ses sentiments puisqu'elle s'apprête à épouser Titus. Mais on nous explique lors de la deuxième scène de l'acte deux, que Titus, lui, va quitter Bérénice pour Rome et le pouvoir. Cette chaîne tragique constitue donc tout l'enjeu de la pièce de Racine. Au cours de cette deuxième scène que nous allons étudier, nous sommes témoins d'une conversation privée entre Titus et son confident Paulin. Celui-ci confirme l'opposition de Rome à cette union avec Bérénice. Héroïque, Titus annonce sa décision : il va la quitter. Nous allons donc voir l'intérêt d'un tel dialogue et ce qu'il apporte pour l'intrigue amoureuse et politique de la pièce, tout en gardant à l'esprit que nous sommes en présence d'une tragédie. Ainsi, dans une première partie, nous montrerons en quoi cet extrait peut être considéré comme une « scène d'exposition retardée » tout en nous intéressant au rôle du confident dans une telle perspective. Puis, nous analyserons le conflit intérieur qui réside en Titus, ce dilemme tragique entre l'amour et le devoir qui lui donne toute sa complexité psychologique. Enfin, après avoir expliqué pourquoi Titus culpabilise envers son père, nous essaierons de savoir s'il est une figure héroïque ou lâche.
[...] N'a-t-il pas tous les pouvoirs dont celui de changer une loi ? C'est ce que fait remarquer Bussy Rabutin après sa première lecture de l'œuvre : Il me paraît que Titus ne l'aime pas tant qu'il dit, puisqu'il ne fait aucun effort à l'égard du sénat et du peuple romain. Il se laisse aller d'abord aux remontrances de Paulin qui, le voyant ébranlé, lui amène le peuple et le sénat pour l'engager, au lieu que s'il eût parlé ferme à Paulin, il aurait trouvé tout le monde soumis à ses volontés Si son désir d'amour était plus fort que son désir de gloire, il n'aurait pas fait ce choix. [...]
[...] Les deux premiers vers nous laissent penser que Titus n'a pas encore pris sa décision alors que si. Mais avant de la donner, il a besoin de savoir ce que le peuple veut. C'est pourquoi il questionne Paulin : Hé bien ! De mes desseins Rome encore incertaine / Attend que deviendra le destin de la reine Racine semble avoir fait un jeu de mots avec la paronomase desseins et destin Outre leur typographie, ces deux mots sont liés symboliquement. En effet, de ses desseins dépend le destin de la reine et inversement. [...]
[...] Grâce (ou à cause) à Paulin, il va se conforter dans sa décision pour ne pas devenir un Néron ou un Caligula en pire : il va donc quitter Bérénice. Mais, en même temps, il éprouve remords et culpabilité envers elle mais aussi de la tristesse car il est conscient qu'il ne pourra pas vivre heureux ainsi. Nous avons donc ici l'image d'un héros tragique qui sacrifie sa vie, son bonheur pour le bien du peuple. Cependant, ce sacrifice de soi va le mener à devenir un Autre, va le mener à sa perte. [...]
[...] Bérénice avait réuni l'amour et la valeur. Mais voilà qu'il faut, au nom de cette même valeur (devoir, gloire, vertu) bannir l'amour et Bérénice. Il y a soudain deux devoirs et deux vertus. La parole donnée à Rome le contraint à ne pas tenir sa promesse. Il sait que le devoir est supérieur à l'amour et qu'il doit l'emporter. C'est pourquoi il prend cette décision : Je connais mon devoir, c'est à moi de le suivre (v.551). Lui-même se rend compte que son devoir le rend coupable, le force à devenir un monstre d'ingratitude et de cruauté vis-à-vis de Bérénice. [...]
[...] L'hymen chez les Romains n'admet qu'une romaine ; Rome hait tous les rois, et Bérénice est reine (v.292 à 296) Mais curieusement, ces cinq vers de Phénice n'attirent pas vraiment l'intérêt du lecteur car celui-ci semble plus intéressé par les mots d'amour de Bérénice qui semble loin de se douter de la situation et qui transmet cette naïveté au lecteur. Le début de ce deuxième acte est donc là pour nous faire prendre conscience du problème qui traverse toute l'oeuvre. Dans le théâtre de Racine, le rapport entre un confident et son maître a une très grande importance. Le confident est celui qui permet au héros de se dévoiler sans que cela semble étrange au spectateur. [...]
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