Cet essai de Paul Bénichou, professeur de littérature française, s'attache à retracer les divers courants moraux traversant le 17e siècle, en explicitant les relations entre conditions sociales et conditions morales, la dépendance réciproque entre littérature et société.
Pour résumer brièvement, le 17e siècle a connu trois morales : une « morale héroïque, qui ouvre un passage de la nature à la grandeur » (avec un auteur comme Corneille notamment), une « morale chrétienne rigoureuse qui donne au néant la nature humaine tout entière » (Pascal et le jansénisme), et une « morale mondaine à la fois sans illusions et sans angoisses qui nous refuse la grandeur sans nous ôter la confiance » (Molière).
[...] Pour lui, la grandeur de l'homme n'existe que dans le sentiment qu'il a de sa misère, de même la raison doit s'avouer imparfaite. A la différence de l'idéalisme aristocratique qui parvenait à concilier passions et grâce divine (le terme de gloire étant alors entendu dans un sens idéal, le désir de gloire comme un mouvement idéal de la nature humaine vers un bien immatériel), pour Pascal il n'y a pas d'intermédiaire entre les deux (tout est bas dans l'homme ; le sentiment de gloire n'est qu'un mirage, qu'une illusion sur soi). [...]
[...] La gloire du héros cornélien se définit comme étalage des puissances du moi comme «grandissement moral de l'orgueil et de l'amour elle est donc satisfaction des désirs, orgueil qui se donne en spectacle, mais elle exige aussi mesure et sagesse (générosité, clémence). Cette forme de morale correspond à un modèle archaïque, aux vieux thèmes moraux de l'aristocratie féodale (bravade, magnanimité, dévouement, amour idéal et l'on voit que cette vertu noble n'exige pas la censure des passions, puisqu'il ne s'agit pas de réprimer la nature mais au contraire d'exalter la grandeur du moi. [...]
[...] Bénichou constate cependant que le jansénisme comme parti a échoué. Son extrême méfiance à l'égard des mouvements du moi, et la morale de la coercition qui en découle, accompagnent également une critique de l'obéissance aveugle (dans le souci toujours de contrer cette duperie de l'amour-propre): ceci se traduit par l'exigence d'un exercice de la raison (indispensable pour atteindre la foi véritable), et au niveau politique par une hostilité à l'autocratie, une opposition à l'absolutisme papal. Le principe d'insoumission au fondement du jansénisme suppose ainsi une position difficile à tenir, d'où une certaine timidité, une sorte d'impuissance qui se traduit dans une forme de nihilisme janséniste. [...]
[...] A partir de 1650, on a tendance à substituer à la religion des grands intérêts et à l'héroïsme la religion de l'amour. Ainsi dans une pièce comme Andromaque, on voit que l'amour violent et meurtrier a pris le pas sur le dévouement, la soumission de l'amour chevaleresque et courtois. L'originalité de Racine réside ainsi dans la forme nouvelle qu'il donne à l'amour, amour égoïste et instinctif au sens de fatal, naturel, non maîtrisé par la raison. Racine rejoint ici les inspirations jansénistes de La Rochefoucault ou de Pascal, dans la conception d'une passion qui avance de fausses raisons sur elle- même, par une duperie derrière laquelle il faut voir quelque intérêt tout- puissant du cœur. [...]
[...] L'attitude morale de Molière se résume donc par l'acquiescement à l'ordre des choses, c'est-à-dire à la loi naturelle du plaisir, et avec elle aux normes sociales. Elle est à ce titre en phase avec le mouvement de la société curiale de l'époque vers la facilité matérielle et la soumission morale. * Ainsi le 17e siècle s'inscrit comme une étape importante dans le développement de l'humanisme moderne, avec tout ce que celui-ci comporte d'audace dans la conquête de la lucidité et du bonheur, et à ce titre préfigure bien le siècle de la Révolution. [...]
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