Directeur de la Nouvelle Revue Française de 1987 à 1996, Jacques Réda est un poète français contemporain qui a la vocation et la particularité de s'intéresser aux paysages urbains. Cependant, nul besoin d'espaces lointains : Paris, la ville où habite Réda, ou celle dont il est originaire (Lunéville) suffisent amplement. Son grand intérêt pour la modernité produit une poésie urbaine qui se renouvelle à chaque fois qu'il s'agisse des Ruines de Paris en 1977, d'Hors les murs en 1982 ou encore de L'Herbe des talus en 1984. Notre corpus est extrait de son recueil de poèmes intitulé Beauté suburbaine (1985) dans lequel il nous livre les coins presque secrets de Paris (notamment les Hauts de Seine). Le poète ne manque pas d'originalité puisque les quatre poèmes ne sont pas assimilables par leur métrique : imitation du sonnet pour Saint-Germain au musée, quatrains d'octosyllabes et d'hexasyllabes dans Les Hauts de Seine sahariens, expérimentation du calligramme dans La pluie à Sceaux et quatrains d'alexandrins en ce qui concerne le quatrième poème intitulé Maisons à Malakoff, avec à chaque fois une touche d'originalité qui ne laisse pas place à la forme fixe.
Selon quelles modalités Réda nous livre-t-il une vision de la banlieue parisienne par le prisme d'une poésie en mouvement ? (...)
[...] Il semble que la ville qu'il évoque est avant tout marquée par la modernité. En effet, à la lecture de ces poèmes, nous sommes interpellés par l'omniprésence du lexique de la modernité (interpellation suscitée en majorité par le nombre démesuré d'occurrences rappelant les constructions modernes) : plâtre plombés statues bassines teintes ou encore l'entreprise Vidal-et-Champredonde Ferraille De plus, la modernité est mentionnée par sa grandeur. Ainsi, la fenêtre est immense et le mur semble cacher l'horizon par son infinité : ou tour de bronze à l'horizon barré/D'un long mur gris suave De surcroît, l'immensité des constructions est représentée par la figure de la forteresse : elle surgit dans le ciel avec agressivité et paraît infranchissable, avec ses murs blancs qui accroient sa grandeur par leur mise en valeur devant un fond bleu saharien Mais la poésie de Réda observe la modernité dans sa totalité et aborde donc les artifices de la modernité. [...]
[...] Maisons à Malakoff C‘est une manière, non pas de poétiser le banal par une opération d'enrobage mais de suggérer comment la langue peut aider à voir et sentir autrement et comment, devant nous, elle déplie en quelque sorte l'éventail complet de la réalité. De cette manière, le monde connaissable peut s'apprécier. En outre, la poésie semble avoir un pouvoir salvateur sur le poète : Où ma nature prosaïque/Me préserve du sort/D'errer dans un désert de sable/Sans fin ni profondeur En fin de compte, la poésie n'aurait-elle pas comme pouvoir de saisir l'instant où s'inscrit le poète afin qu'il ne tombe pas lui aussi dans le néant comme tous ces instants qui ont été oublié ? [...]
[...] Ainsi, la Défense est comme un rocher le ciel à priori vide cohabite désormais avec une construction imposante les murs blancs d'une forteresse/Dans un bleu saharien et la métaphore du parapluie qui s'ouvre comme éclos une fleur élève au même niveau la modernité et la nature. Il en est de même avec l'énumération les isbas, les Trianon/En plâtre, les tanières ou encore avec ces arbres et ces statues. Nature et modernité cohabitent donc dans la banlieue parisienne et chacun garde un souvenir de l'autre tout en le modifiant. La fugacité des instants Toutefois, les images de la banlieue parisienne que nous donne à voir le poète apparaissent fugitives, comme destinées à l'oubli. [...]
[...] L'analogie citadine permet, par exemple, de mettre en rapport deux rues qu'un nom, une idée ou un air de ressemblance rassemble. Un trajet dans la ville peut également offrir le moyen d'une transfiguration. Paris peut ainsi se muer en une incroyable province sableuse et désertique : Des Arabes devant leur tente/Vous regardent venir/Et l'on entend presque hennir/Leurs chevaux en attente/Un peu plus loin, sous un dattier/Où le vent chaud halète. /Une montagne violette/Tient l'horizon tout entier C'est ainsi que Réda tente de rendre plus attrayant nos alentours. [...]
[...] Il serait alors tentant de comparer la ville à un poème, une superposition de récits où rien ne s'effacerait complètement, où chaque nouvelle rédaction née de la précédente, garderait des traces à mesure de plus en plus rares, mais d'autant plus parlantes. Si il est une limite à son intention, celle-ci se trouve sûrement dans la réception de ces poèmes car ils semblent, en raison de la toponymie, être adressés à un lecteur averti, qui connaît Paris, mieux, qui y habite. [...]
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