S'il est bien une oeuvre qui représente les principaux enjeux de l'écriture fragmentaire, c'est celle que Roland Barthes écrira en 1977, Fragments d'un discours amoureux. Le titre de l'oeuvre nous donne immédiatement l'aperçu du contenu : des fragments. L'intention est claire, Barthes cherche ici à nous offrir une oeuvre symbolisée par la discontinuité et la déliaison. Le lecteur curieux cherche alors à en savoir davantage quant à la substance véritable de cette oeuvre fragmentaire et se tourne ainsi naturellement vers la quatrième de couverture. Seulement, Barthes est allé jusqu'au bout de son objectif fragmentaire, en nous proposant une quatrième de couverture qui ne fait que recenser tous les titres des "figures" du texte, sorte de table des matières injustement placée. De plus, la forme de ce "recensement" met une fois de plus en avant la discontinuité de l'oeuvre puisque les mots s'étendent dans un volume croissant et décroissant, ce qui inévitablement nous désarçonne et nous pousse à découvrir en détails ce morcellement dépourvu de sens. Ainsi, dans un premier temps, le sens même de l'oeuvre est mis en danger puisque la forme en détruit notre conception. L'attitude du lecteur quant à l'oeuvre de Barthes met ainsi en lumière les problématiques majeures de l'écriture fragmentaire : décalage, inachèvement, désordre, refus de la norme. La véritable table des matières du texte ne nous aidera pas davantage à construire un quelconque sens quant à ce chaos apparent : les titres des figures sont suivis de mots ou d'expressions numérotées sans aucun lien logique entre eux, ce qui nous donne une idée du brouillard général qui semble régner dans cette oeuvre (...)
[...] Il y a une vraie mobilité dans le discours amoureux, il n'est jamais emprisonné dans une totalité. Nous le voyons dans notre œuvre, le discours amoureux est, premièrement, empreint d'une multitude de figures. Certaines d'entre elles s'opposent d'ailleurs à d'autres, ce qui rend bien compte des contrastes qui peuvent exister dans la pensée amoureuse. Elle n'est jamais figée, elle se décompose, se recompose à l'infini. Le discours amoureux entre, en effet, dans une logique de déconstruction/reconstruction permanente. Il ne cesse d'évoluer et de réaffirmer ce qu'il venait de dénier précédemment. [...]
[...] Cette ostentation de l'absence nous encourage à opérer une lecture fragmentaire, c'est-à-dire une lecture qui dénie les liens entre les paragraphes et qui s'attarde uniquement sur le sens de chacun. Pourtant la tentation de combler les intervalles est très forte. Notre esprit a l'habitude de chercher automatiquement une unité entre des parcelles de texte qui se suivent. D'autant qu'ici, ces morcellements font partie à chaque fois d'une même figure, et sont donc sensés se rattacher à son sens et la volonté unificatrice du titre. [...]
[...] Dès lors où on utilise le fragment, on sait qu'il va nous permettre de dégager une pensée aléatoire que nous n'aurions pas pu placer dans une continuité ou un autre contexte. Le fragment permet de reposer l'éclatement de notre esprit dans une forme textuelle adaptée. Car en fin de compte, nous ne pensons toujours que par fragments. Notre esprit est constamment envahi d'une pensée suivie d'une autre sans rapport, et ainsi de suite dans une succession complètement arbitraire. Et c'est principalement le cas dans la pensée de l'amoureux qui ne cesse de divaguer. [...]
[...] Sorte de fragment dans le fragment, arcane du texte, la parenthèse brise le cerne de la phrase, ouvre de l'intérieur une dérive spiralée ; elle opère une récession du sujet. Cette excellente analyse de Ginette Michaud rend bien compte du pouvoir fragmentaire de la parenthèse, qui délie et déconstruit un système de normes et une construction de sens. Ainsi, il nous paraît évident que le texte de Barthes est tout à fait représentatif de l'écriture fragmentaire, et principalement par cette saturation des effets. [...]
[...] Ensuite, une définition vient compléter systématiquement le titre pour apporter un éclaircissement quant au sens exact de la figure. Enfin, Barthes développe l'argument de sa figure, en juxtaposant explications, exemples et citations. Prenons comme exemple la première figure de notre texte. Le lecteur apprend que : la figure Je m'abîme, je succombe nommée s'abîmer est une bouffée d'anéantissement qui vient au sujet amoureux par désespoir ou par comblement ce que peut être cette bouffée d'anéantissement et ce que sont et peut être les usages, tant de la bouffée elle-même que des situations ou habitudes qui l'appellent, et des propos qui l'entourent. [...]
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