[...]
Au croisement de l'histoire des femmes, de l'Afrique et de la colonisation, l'objectif de ce livre est de montrer la complexité des rapports de domination en contexte colonial. Ces rapports ne peuvent se comprendre que par la confrontation des discours et des politiques de la métropole avec la réalité des expériences vécues. C'est pour cela que Pascale Barthélémy s'est appuyée - entre autres sources - sur le témoignage oral de quatre-vingt-dix anciennes élèves de l'Ecole de médecine de l'AOF à Dakar et de l'Ecole normale de jeunes filles de l'AOF à Rufisque. Il s'agissait, alors, des deux seules écoles ouvertes aux filles scolarisées dans la Fédération. Elles étaient accessibles sur concours. En cas de réussite de leurs études, leur diplôme leur permettait d'exercer le métier de sage-femme ou d'infirmière dans l'entre-deux-guerres. A partir de 1938, le métier d'institutrice vint se rajouter aux deux autres.
De 1918 à 1957, elles furent 990 jeunes africaines à obtenir leur diplôme de sage-femme, d'infirmière-visiteuse ou d'institutrice, sur 1286 admises au concours d'entrée de l'Ecole de médecine ou de l'Ecole normale de jeunes filles. La section "sages-femmes" de l'Ecole de médecine compte 633 diplômées, pour 870 admises. La section "infirmières-visiteuses" compte 63 diplômées pour 28 admises. De 1938 - date de son ouverture - à 1957, l'Ecole Normale de Rufisque compte 294 diplômées pour 388 jeunes filles initialement admises. Les promotions annuelles sont en moyenne d'une petite vingtaine d'élèves dans chacune des deux écoles.
Ce livre raconte leur histoire, inconnue jusqu'ici, et constitue en cela une manière inédite d'analyser la politique coloniale. Pascale Barthélémy l'y aborde sous un angle de vue renouvelé, en s'intéressant à ces jeunes filles, formées et utilisées comme "auxiliaires de la colonisation", en AOF pendant la première moitié du XXème siècle. L'auteur s'inscrit dans une perspective d'histoire des femmes et du genre, appliquée à l'histoire de la colonisation et cherche à comprendre le mécanisme de la formation de ces jeunes filles et à mesurer son impact sur les sociétés coloniales concernées.
-> Quelles étaient les origines sociales et géographiques de ces jeunes filles ?
-> Dans quelles conditions ont-elles été scolarisées ?
-> De quelle façon ont-elles exercé leur métier et réinvesti leur capital scolaire dans le champ
social voire politique ? (...)
[...] La première étape consiste à repérer les femmes enceintes lors de visites à domicile ou de tournées qui peuvent durer plusieurs jours et qui donnent lieu à des consultations. Ce travail de rabattage est celui des infirmières-visiteuses dont le métier est supprimé en 1938. Il s'agit de convaincre les futures mères d'accoucher au dispensaire. Les sages-femmes se déplacent à pied, en âne, à cheval, parfois à bicyclette. Les voitures sont réservées aux médecins mais souvent le carburant manque pour les faire rouler. Après la première prise de contact, les sages-femmes doivent instaurer une relation de confiance avec la future mère et sa famille jusqu'à l'accouchement. [...]
[...] Cinq heures d'EPS hebdomadaires sont prévues dans l'emploi du temps des normaliennes, autant que chez les garçons. Les normaliennes pratiquent la gymnastique, le saut en hauteur et en longueur et le basket-ball. Elles traversent Rufisque, en rang et enchantant, habillées en short et chemisette, ce qui n'est pas sans provoquer des réactions de pudeur chez certaines. A partir de 1945, l'éducation physique se généralise dans les écoles secondaires d'AOF. Une équipe de basket-ball féminin est créée à l'Ecole normale, qui rencontre, lors des championnats, les équipes du collège moderne de Dakar, du collège Ahmet Fall de Saint-Louis, du collège de jeunes filles de Porto-Novo et du cours normal d'Abomey. [...]
[...] Certains territoires (Mauritanie, Niger, Haute-Volta, AEF) souffrent d'un manque cruel de personnel et le taux moyen d'encadrement est d'une sage-femme pour habitants (contre une pour 3500 habitants en métropole) avec de fortes disparités parfois à l'intérieur d'un même territoire (les capitales, les chefs-lieux de cercle et les villes situées sur une ligne de chemin de fer sont beaucoup mieux dotées que les campagnes). Ayant signé un engagement décennal avec l'administration –sous peine de devoir rembourser les frais engagés pour leurs études- les jeunes diplômées sont obligées d'accepter leur nominations. Les institutrices quant à elles, sont plus nombreuses à regagner leur pays d'origine. De plus, elles restent plus longtemps en poste (trois ans et demi contre deux ans en moyenne pour les sages-femmes) en début de carrière et accèdent plus vite à un poste fixe. [...]
[...] La vie à l'internat Pour créer la nouvelle femme africaine, les autorités coloniales utilisent le système clos, réglementé et répressif de l'internat qui permet la surveillance intime des jeunes filles. Pascale Barthélémy parle ainsi de colonisation de l'intime A l'Ecole de médecine, les médecins et les sages-femmes français qui assurent l'enseignement scientifique travaillent avec la directrice et la surveillante de l'internat chargées de l'instruction générale et de la discipline. Afin de les encadrer et de les surveiller en permanence, ces dernières logent dans les mêmes locaux que les jeunes filles, dans l'internat des sages-femmes situé à l'intérieur de l'Ecole de médecine. [...]
[...] L'usage exclusif du français est imposé à l'Ecole normale comme dans toutes les écoles publiques d'AOF. Les transgressions sont sanctionnées par la pratique du symbole qui consiste à confier un petit objet de bois à une élève qu'elle doit donner à la première de ses camarades qu'elle entendra parler dans sa langue maternelle. Cette méthode avait été utilisée par les instituteurs et institutrices ayant exercé en Bretagne avant 1914 et est donc bien connue de Germaine Le Goff. La métamorphose (Pascale Barthélémy) des filles par l'éducation et la crainte de créer des déracinées Pendant toute la période coloniale la volonté de transformation par l'éducation est forte mais se heurte à l'idée que les populations colonisées sont séparées de la civilisation par un fossé qu'il sera difficile voire impossible de combler. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture