Dans « Au-delà de Blade Runner », Mike Davis prend à contre sens la légende de Los Angeles terre promise de la réussite individuelle, du glamour hollywoodien et du soleil californien, se référant davantage au mythe, ou plutôt à l'anti-mythe, du cauchemar urbain inventé par les romanciers « noir » (James M. Cain) ou « post-noir » (James Ellroy) qui fait de Los Angeles une boule de cristal trans-temporelle dans laquelle nous sommes invités à contempler l'avenir de la société moderne.
Celui dessiné par Davis est particulièrement sombre : il décrit une ville où la municipalité et les grandes sociétés ont abandonné jusqu'à la dernière parcelle de responsabilité aux dépossédés, où l'espace public et les droits civiques ont été détruits par la peur de la guerre raciale et de la violence des gangs, une ville dont la frontière extérieure n'est plus le rêve fantasmagorique de la conquête de Mars mais la cruelle réalité de la prison de Calipatria.
Ainsi y a-t-il une certaine filiation entre le roman post-noir et « Au-delà de Blade Runner », chacune des lignes de l'ouvrage de Mike Davis étant voilée par cet opaque nuage de fumée qui recouvre le ciel et le smog de la cité des anges depuis « L'incendie de Los Angeles » de Nathanaël West.
Essai sociologique tout autant que roman d'anticipation, « Au-delà de Blade Runner » s'attache à montrer comment le rêve est progressivement en train de tourner au cauchemar, et, ce faisant, apporte une nouvelle vision des évolutions qui touchent la ville post moderne.
[...] Le paradis et l'enfer en quelque sorte. Mais si L.A n'est pas le paradis des dimanches au parc, est-ce pour autant l'enfer que semble prédire Mike Davis ? Cette critique que l'on peut aisément adresser à au-delà de Blade Runner tellement sa vision du futur est pessimiste, mérite plus de nuance. En effet, il ne faut certainement pas croire que Davis a une conception de la ville qui se réduit à une stricte opposition entre paradis et enfer. Il y a sans doute dans sa vision de L.A un peu de Dr Jeckyll et Mr Hyde, de haine et d'amour. [...]
[...] Elles ont en effet conduit à la fuite des capitaux et des emplois du centre ville et des zones touchées par les émeutes alors que c'était justement la progression du chômage et les problèmes de logement qui avaient poussé les habitants de Mid-City et des ghettos de L.A à se ruer dans les magasins et faire de la 103ème une allée de charbon Mais selon Mike Davis, elles ont surtout fait naître, ou du moins mis au centre de la cité, la PEUR, peur des gangs, peur de son voisin, peur de l'étranger. Dès lors, cette PEUR va structurer les dynamiques qui animent la ville de Los Angeles. En analysant celles-ci, Mike Davis va construire un nouveau modèle urbain basé sur ce nouveau facteur qu'est la peur . [...]
[...] Rien de nouveau sur le soleil de L.A serions nous tenté de dire. Mais la critique requiert une nuance substantielle : en fait, plutôt que de construire un nouveau modèle urbain l'écologie de la peur élaborée par Davis serait une sorte de réactualisation de la carte de Burgess permettant d'intégrer la notion de peur à la sociologie urbaine. Mike Davis ne prétend d'ailleurs pas à autre chose. Ma nouvelle carte reprend Burgess et le fait voyager dans le temps. Elle conserve les déterminants écologiques comme le revenu, la valeur foncière, la classe et l'origine mais ajoute un facteur nouveau et décisif : la peur D'autre part, la carte de la ville nord-américaine était basée sur l'idée qu'était à l'œuvre une crise urbaine dans les centres-villes perdant leurs commerces, leurs habitants et étant peu à peu laissés à l'abandon. [...]
[...] Hell a si ce n'est le paradis, est-ce forcement l'enfer ? Il y a deux sortes des réalités qui s'opposent au cœur de la ville. Il y a d'un côté cette réalité de la misère, de l'horreur, de la destruction de la dignité humaine qui a été peinte par Dickens aussi bien que par Ellroy et qui fait ressurgir les pires cauchemars du 19ème siècle, ceux de l'Assommoir de Zola ou des guerres de gang à New York ou Boston. [...]
[...] Cependant, l'innovation reste limitée dans la mesure où, les stratégies sécuritaires dépendant des moyens pouvant être mis à disposition, la cible de Davis rejoint celle de Burgess : chez Davis, les moins bien dotés ne pouvant se payer des moyens de défenses onéreux se retrouvent dans un centre ville gouverné par les gangs tandis que les mieux dotés peuvent résider dans les banlieues dorées militarisées. Au fond, la composition et la répartition du modèle en zones urbaines concentriques élaborée par Davis sont quasiment identiques à celui de Burgess. Seule l'explication de sa formation change. [...]
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